Marcel Bascoulard (1913-1978) est une légende qui, comme toutes les légendes, attise les fantasmes et cristallise les récits.
Sa vie fut fabuleuse, mais de ces fables noires, de ces contes cruels croisant la misère et la mort, la boue et le sang. L’enquête rédigée par Patrick Martinat, assignant de nombreuses sources – témoignages oraux, coupures de presse – donne à voir la vie d’un homme qui ne quitta presque jamais son Cher natal, comme si ce microcosme géographique avait toujours suffi à alimenter ses rêves d’ailleurs et de grandeur, vagabondant dans le familier et dans le « par cœur », comme d’autres (Xavier de Maistre) conçurent un splendide « voyage au centre de leur chambre ». Le jeune Bascoulard n’aime que deux choses : dessiner et sa mère. Le dessin, il le pratique avec une virtuosité illusionniste, hanté par la zone, les locomotives de passage et l’intimidante cathédrale. Il vend ses feuilles à des curieux, lie des amitiés marginales, habite dans des cabanes indigentes ou des camions déglingués. Un clochard, certes, mais qui ne demande rien à personne. Sa mère, Bascoulard l’aime plus que tout, en dépit de l’assassinat de son mari qui, survenu en 1932, lui vaut d’être internée. Est-ce en souvenir d’elle que le nécessiteux entreprend désormais – ce qui lui vaudra une notoriété sans pareille dans Bourges – de s’habiller en femme, se faisant photographier, coiffure et barbe hirsute, dans des robes de sa production ? Souveraine, la liberté artistique n’a que faire de l’accoutrement. Bascoulard, lui, poursuit son œuvre et dessine tout – des cartes topographiques éblouissantes, des vues des rails de nuit, des non-lieux berruyers –, de sorte que Bourges, en 1968, consacre une exposition à cet enfant du pays, à ce Diogène magnétique. Mais, sans surprise, le jour du vernissage, Bascoulard n’est pas là. L’artiste travesti, qui abhorre les sociabilités, a préféré rester près de ses chats et de sa boue, celle-là même dans laquelle on le découvre gisant un jour d’hiver 1978, étranglé par un marginal. Ce livre sacre un homme de peu, et un très grand artiste.
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Il était une fois Bascoulard
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°767 du 1 septembre 2023, avec le titre suivant : Il était une fois Bascoulard