Livre

Henry Dougier : « Je suis avant tout un passeur d’idées et de formes »

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 17 octobre 2022 - 922 mots

Le fondateur des éditions Autrement, qu’il a dirigées de 1975 jusqu’à la vente de l’entreprise à Flammarion en 2010, est un éditeur boulimique. En 2014, à près de 80 ans, il a créé une nouvelle maison qui porte son nom : les Ateliers Henry Dougier, où l’art a naturellement trouvé sa place.

Henry Dougier. © D.R.
Henry Dougier.
© D.R.
En 2021, vous avez lancé aux Ateliers Henry Dougier la collection « Le roman d’un chef-d’œuvre ». De quoi s’agit-il exactement ?

Cette collection prend pour point de départ une œuvre d’un artiste parfois très connu, à l’instar de Michel-Ange, parfois moins, comme Füssli. Dans cette collection, nous demandons à un auteur de choisir une œuvre, un tableau ou une sculpture et de nous en raconter la genèse et sa réception d’une façon tonique sans être trop savante. Pour cela, chaque auteur donne vie à un narrateur. Ainsi, dans La Sarabande des Nanas, Catherine Guennec raconte la vie de Niki de Saint Phalle à travers les propres yeux de l’artiste et de Nana, une jeune femme qui l’a accompagnée durant des années. Dans Une passion mélancolique, de Christine Frérot, c’est Diego Rivera qui raconte cette fois Frida Kahlo et son œuvre, manière de raconter leurs passions communes envers le Mexique, le communisme, etc.

Comment obtenir un équilibre entre la dimension romanesque du récit et la vérité historique de l’œuvre ?

Chaque récit, d’une centaine de pages, est un savant mélange entre une histoire sensible et une analyse (ses couleurs, ses formes, etc.). À la fin de chaque livre, nous consacrons par ailleurs une trentaine de pages à la bibliographie, à la muséographie et à ce que nous appelons « les regards croisés », une sélection d’extraits de textes de témoins qui ont également parlé, à l’époque, de l’œuvre.

Avec une trentaine de titres en à peine deux ans, comment choisissez-vous les artistes et les œuvres auxquels vous consacrez un livre ?

Le choix se fait entre moi et l’auteur, comme Gérard Mordillat qui vient d’écrire Le Miracle du dessin selon Ernest Pignon-Ernest. Si les auteurs ne sont pas toujours les plus connus, ils sont passionnés par leur sujet et habités par l’artiste dont ils parlent. Chaque ouvrage demande beaucoup de travail : ce sont des livres d’écrivains, non d’historiens de l’art, mais il ne s’agit pas de dire n’importe quoi ! Dans son récit sur Munch (Angoisses et Désir), dont on peut actuellement voir une grande exposition à Orsay, Marc Lenot a, par exemple, choisi de nous raconter la vie sentimentale très compliquée du peintre à travers le tableau intitulé La Danse de la vie.

Quels seront les prochains titres ?

Après les ouvrages que nous venons de sortir sur Frida Kahlo, Munch, Füssli, Ernest Pignon-Ernest et Niki de Saint Phalle, la collection s’enrichira avec des Italiens : Fra Angelico, Uccello, Botticelli, Della Francesca. Nous aurons aussi David, avec La Mort de Marat, et Fragonard, à travers Le Verrou, un tableau absolument formidable !

Vous venez de lancer, en 2022, une nouvelle collection intitulée « Autobiographie d’un mythe ». En quoi cette collection est-elle originale ?
Alain Le Ninèze, Moi, Œdipe, autobiographie d'un mythe. © Atelier Henry Dougier 2022
Alain Le Ninèze, Moi, Œdipe, autobiographie d'un mythe.
© Atelier Henry Dougier 2022

Aux éditions Autrement, j’avais créé il y a quelques années une collection sur les grandes figures de la mythologie gréco-romaine, une collection très sérieuse, à plusieurs voix, souvent dirigée par un universitaire. À travers elle, nous voulions exprimer la modernité des figures mythiques. « Autobiographie d’un mythe », c’est autre chose. Chaque grande figure de la mythologie (Vénus, Œdipe, etc.) s’y raconte sous l’angle autobiographique par la voix d’un écrivain. L’idée de la collection est née lors d’une discussion avec Alain Le Ninèze et Marika Doux. Le premier à relever le défi a d’ailleurs été Alain, qui raconte, en une centaine de pages, le destin d’Œdipe à la première personne. Le récit est scandé par une sélection d’œuvres qui font de ces ouvrages de beaux livres d’art.

Aux éditions Autrement, que vous avez dirigées de 1975 à 2010, l’innovation a toujours été un maître mot. Vous y avez créé les « romans d’une ville » ou la collection « Mappe », vous avez également inventé le mot « mook »… En quoi innover est-il important dans l’édition ?

Je suis avant tout un passeur d’idées et de formes. Je me pose toujours la question de ce que l’on peut raconter et comment le faire de manière différente. Mais l’innovation n’est pas un gage de succès. Certaines des collections que vous citez ont bien marché, d’autres moins. « Mappe », qui raconte une zone géographique sur 32 pages pliées, écrites par les meilleurs experts sur le sujet, n’a pas été un grand succès en librairie – un livre plié n’est pas très simple à présenter. La collection « Lignes de vie d’un peuple », en revanche, fonctionne davantage et compte aujourd’hui plus d’une cinquantaine de titres. Un auteur français y raconte un peuple : les Allemands, les Bretons ou les Argentins, qui ils sont, ce qui les fait vibrer, etc.

Après avoir consacré une grande partie de votre vie aux éditions Autrement, vous avez créé une nouvelle maison d’édition qui porte votre nom : les Ateliers Henry Dougier. Que diable aller faire dans la galère de l’édition ?

Je me pose la question ! L’édition est devenue de plus en plus compliquée, c’est certain. Les collections lancées ces dernières années n’ont pas le même impact en librairie que celles lancées auparavant. Il y a une inflation colossale de titres – souvent très bons d’ailleurs, grâce à de bons éditeurs en France. Mais, dans le contexte actuel, les petits éditeurs, qui sortent moins d’une vingtaine de titres par an, ont plus de chance de s’en sortir en publiant des écrits très travaillés, ce que nous faisons.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°758 du 1 octobre 2022, avec le titre suivant : Henry Dougier : "Je suis avant tout un passeur d’idées et de formes"

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