Musique

De l’oreille à L’Œil - La chronique de Laure Albernhe

Et Sun Ra inventa l’afro-futurisme

Par Laure Albernhe · L'ŒIL

Le 25 avril 2023 - 453 mots

Il sort de son vaisseau dans un nuage de fumée, sa cape dorée volant au vent chaud de la Californie.

Sur sa tête, une coiffe de pharaon, augmentée d’un étrange diapason géant. Du haut de ses platform shoes, ce pharaon psychédélique domine une audience subjuguée, autant que la situation qu’il a lui-même imaginée. Il s’impose davantage par son excentricité que par son charisme. « I am the outer destiny. I am the presence of the living myth. » Bon. On ne comprend pas forcément tout, même avec les sous-titres. Mais il arrive tout droit de Saturne, il fait déjà l’effort de parler en anglais. Sun Ra, en 1974, dans le film Space is the Place, qu’il a écrit selon les principes d’une mythologie nouvelle, ne joue pas seulement son propre rôle à peine romancé dans un long-métrage de science-fiction, il pose aussi les préceptes d’un mouvement polymorphe qui ne trouvera son nom sous la plume d’un essayiste américain que vingt ans plus tard : l’afrofuturisme. Dès les années 1950, le pianiste, qui s’était rebaptisé Roi ou Dieu Soleil, avait planté les jalons de cette idéologie nouvelle qui voulait redonner leur place légitime à ses frères noirs. Chacune de ses apparitions sur scène était un happening, où le décorum comptait autant que la musique et le propos. Mais, lorsqu’à l’écran il descend les marches de son vaisseau, c’est toute une imagerie qui se dessine sous nos yeux. Celle d’un futur où le peuple noir, enfin, « in outer space », dans le cosmos, trouvera la place dont la civilisation blanche l’a privé. Poétique et politique, volontiers provocatrice, cette démarche a dessiné les contours d’un mouvement qui devait durer des décennies et dure encore. La richesse de ses artistes contemporains en témoigne, notamment sur le continent africain.

Car il n’y a pas un mouvement afrofuturiste, mais des artistes afrofuturistes. Et autant de visions qui convergent vers un objectif commun : s’imaginer un futur radieux, à partir d’une histoire redéfinie. « Est-ce qu’une communauté dont le passé a été délibérément effacé, et dont toute l’énergie est ensuite passée dans la recherche de traces visibles de son histoire, peut s’imaginer des futurs possibles ? », a écrit en 1993 le théoricien Mark Dery. Science, littérature, histoire, arts visuels, musique, tous les domaines, tous les moyens sont bons pour définir ces futurs. En représentant des héros noirs, qu’il est souvent allé chercher chez les musiciens de jazz, en intégrant à ses toiles masques africains et dieux égyptiens, Jean-Michel Basquiat, à l’honneur simultanément ce printemps à la Fondation Louis Vuitton et à la Philharmonie de Paris, a lui aussi contribué à cette imagerie afrofuturiste. Son regard se porte autant vers un futur à imaginer que vers un passé à revisiter. Et pas seulement sur Saturne.

À retrouver.
Laure Albernhe et Mathieu Beaudou dans Les Matins Jazz, du lundi au vendredi, de 6 h à 9 h 30 sur TSF JAZZ, la radio 100 % jazz. www.tsfjazz.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°764 du 1 mai 2023, avec le titre suivant : Et Sun Ra inventa l’afro-futurisme

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