Livre - Photographie

Éric Cez : « Les photographes ont besoin du livre pour se distinguer dans une production exponentielle »

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 21 octobre 2024 - 847 mots

Éric Cez, cofondateur des éditions Loco et président de l’association France Photobook qui regroupe trente maisons d’édition réparties sur l’ensemble du territoire, dresse un bilan pessimiste sur l’édition du livre photo en France.

Éric Cez. © Christian Kirk-Jensen
Éric Cez.
© Christian Kirk-Jensen
Les livres photo n’ont jamais été aussi nombreux, ni les maisons d’éditions spécialisées en photographie. Quelles sont les raisons de ce dynamisme ?

On assiste effectivement au fait que, malgré un marché compliqué, les photographes ont besoin du livre pour se distinguer dans une production exponentielle. Le nombre de photographes explose et ils ont un réel besoin d’exister, le travail photographique a besoin d’un livre pour avoir une existence. Cette situation est peut-être liée au tout-numérique, au tout-dématérialisé. Les outils de production se sont tellement démocratisés que tout le monde peut « faire » un livre photo. Avant, cela prenait du temps. Aujourd’hui, on assiste à une précipitation un peu brouillonne où un travail à peine mature est déjà proposé à l’édition. C’est ce qui trouble le paysage des rayonnages des librairies et des salons de livres photo. Certains livres ne devraient pas être faits. On ne prend plus le temps. C’est à l’image de notre monde.

Qu’est-ce qui a changé dans l’économie du livre photo ?

Le nombre d’exemplaires tirés a dégringolé. Auparavant, en fonction du potentiel éditorial, le niveau s’établissait entre 1 000 et 2 000 exemplaires en sachant que plus un tirage est important, plus le prix de revient est bas, et donc le livre est susceptible d’être rentable. Aujourd’hui, ce type de projection est rare et ne se fait que sur des noms très connus dont l’ouvrage s’accompagne d’une exposition importante. Hors de ce contexte, on produit aujourd’hui 500-700 exemplaires en moyenne. Ce niveau ne permet pas faire tourner une maison d’édition ni d’amortir les frais de production d’un livre. Il est nécessaire d’aller chercher des partenaires pour équilibrer le projet éditorial. Ces partenaires peuvent être une galerie, des mécènes privés ou l’État, malgré le peu de dispositifs d’aide qui existent pour le livre de photo contemporaine. Les montages diffèrent d’un livre à un autre. Il y a quelques années le participatif, la souscription via des plateformes a été un modèle. Tout le monde s’y est engouffré, éditeurs et auteurs. Ces plateformes ont d’ailleurs permis l’émergence et l’installation de l’auto-édition. Mais ce modèle est épuisé, sauf pour les noms très connus.

Est-ce à dire qu’il y a un engouement moindre ?

Je crois que l’engouement est là, mais qu’il ne se concrétise pas par un achat.

Le prix du livre, en moyenne 40 euros, peut-il être un frein ?

Non. C’est une histoire de nécessité, pas d’argent. Une personne, pas forcément en fonds, peut éprouver la nécessité d’acheter une paire de baskets à 200 euros. Beaucoup n’éprouvent pas le besoin d’acheter un livre photo car il y a une inculture à son sujet. On se rend compte aussi que les libraires ne savent pas forcément vendre un livre de photographie. D’où la création en 2023 par France Photobook du prix des Libraires du livre de photographie. On demande à 21 libraires de France et de Belgique qui ont un rayon photo de choisir un livre lauréat parmi les 29 édités au cours de l’année par les 29 éditeurs membres de France PhotoBook. On cherche à les sensibiliser à ce qu’est un livre photo. Cela permet à partir de ce jury, à la composition différente d’une année sur l’autre, de tisser un réseau de libraires sensibles à ce type d’édition et capables d’en déterminer la qualité. Faire découvrir ce qui fait la spécificité du livre photo, que ce soit dans les écoles d’art ou par la formation des éditeurs est actuellement notre grand chantier.

Pourquoi avoir créé France Photobook ?

Nous avions besoin de mutualiser la réflexion et les actions pour que notre domaine, riche d’éditeurs, puisse perdurer. Le livre et le travail d’un photographe aujourd’hui sont intimement liés. Le travail d’un photographe a beaucoup plus de place dans un livre que dans une exposition. Il s’agit donc de préserver le livre qui est important dans l’écosystème de ce médium, mais aussi dans son histoire, et qui, en même temps, a du mal à résister et à s’imposer face à la mondialisation. On est dans un pays où l’on a accès à de nombreuses éditions du monde entier, ce qui donne au lecteur une grande offre. Cela n’était pas le cas il y a quinze ou vingt ans. Cette situation fait qu’il y a moins de place pour notre production sur la table d’un libraire. Hormis les pays francophones, on a du mal à imposer nos livres en Allemagne ou aux États-Unis.

Est-ce qu’un prix photo décerné entraîne les ventes du livre récompensé, comme un prix littéraire ?

Pas vraiment, cela donne une visibilité. Pour augmenter les ventes d’un livre, il faut le voir. Or, chez les libraires, les rayons de livres photo sont de plus en plus réduits. Si on ne trouve pas le livre qu’on cherche, on oublie. Ce sont donc des ventes que l’on perd. La vente en ligne sur nos sites est un outil. Mais ce n’est pas suffisant.

Et aussi
Irène Jonas, « Bouquinistes de Paris. Les derniers mohicans de Paris »,
éd. de Juillet, 128 p., 39 €.
Michel Poivert, « Rencontre Anaïs Boudot, La colonie intérieure »,
éd. Filigranes, collection Les Carnets, 80 p., 10 €.
Patrick Bard, « Rencontre Anaïs Boudot, Jour et Ombre »,
éd. Filigranes, collection Les Carnets, 64 p., 10 €.
Hélène Giannecchini, « Un désir démesuré d’amitié »,
éd. Seuil, 288 p., 21 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°780 du 1 novembre 2024, avec le titre suivant : Éric Cez : « Les photographes ont besoin du livre pour se distinguer dans une production exponentielle »

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