L’ancien ministre de la Culture Jack Lang et l’historien de l’art Colin Lemoine (collaborateur au magazine L’Œil) publient chez Fayard une nouvelle biographie de Michel-Ange.
Jean-Christophe Castelain : Jack Lang, vous connaissez bien la Renaissance pour avoir écrit une biographie de François Ier et de Laurent le Magnifique. Est-ce pour ces raisons que vous vous êtes intéressé à Michel-Ange ?
Jack Lang : Il y a toujours une part de hasard et d’amitié. J’avais 16 ans lorsque j’ai découvert l’Italie, et ma première vision de Michel-Ange à Florence a été un émerveillement. Le temps a passé, mon souvenir premier s’est estompé, j’ai appris à découvrir d’autres artistes. J’étais très lié à un ami éditeur, Anthony Rowley, disparu l’an dernier. Lors d’un voyage avec lui, pour une exposition sur Michel-Ange à Florence, il m’a appris à mieux comprendre cet artiste extraordinaire et m’a suggéré de rédiger ce livre. Et puis il y a une actualité : il y a cinq cents ans était inaugurée la fresque du plafond de la chapelle Sixtine, qui constitue le point d’orgue de l’ouvrage.
J.-C.C. : Sur quelles sources vous êtes-vous appuyés ?
Colin Lemoine : Principalement sur ses deux biographes contemporains, Giorgio Vasari et Ascanio Condivi. Ce n’est pas facile de suivre Michel-Ange, il voyage beaucoup, il y a des « trous » dans son parcours. Par exemple, nous avons estimé, que, mis bout à bout, il aura passé près de huit ans dans les carrières de marbre pour surveiller les extractions de blocs et choisir les meilleurs.
J.-C.C. : En quoi les rapports entre Michel-Ange et ses commanditaires sont-ils particuliers ?
J.L. : De tous les artistes de la Renaissance, Michel-Ange est celui qui a traité avec le plus grand nombre de commanditaires, princes ou prélats, et sur une très longue durée, puisqu’il est mort à l’âge de 89 ans. S’il est leur serviteur, il s’établit progressivement des liens de complicité avec les uns ou les autres, notamment avec Jules II, son commanditaire le plus fidèle et le plus obstiné, presque un deuxième père. Avec le temps, sa réputation s’affirmant, il a gagné en indépendance et a pu mieux résister aux pressions.
C.L. : Michel-Ange est le premier artiste à traiter d’égal à égal avec les puissants. Il déjeune à la table de Laurent le Magnifique, partage son repas avec des humanistes, philosophes et écrivains. Plus tard, il aura quasiment les pleins pouvoirs avec Paul III, qui le nomme « architecte, sculpteur et peintre » des palais pontificaux, la position la plus éminente et la plus stratégique du monde de l’art.
J.-C.C. : L’artiste n’échappe pourtant pas aux critiques, comme ce fut le cas avec le « David ».
J.L. : Il a été un peu critiqué, mais beaucoup encensé ! Il faut aussi faire la part de la jalousie, des petites bassesses humaines qui ne sont pas spécifiques à la Renaissance et ne disparaîtront jamais. Ce qui me frappe concernant le David est que, une fois l’œuvre achevée, un comité composé des plus grands peintres et artistes de l’époque a été appelé à choisir le lieu d’installation de l’œuvre. Ce serait aujourd’hui inimaginable, sauf pour les jurys d’architecture. C’est une œuvre parfaite et peut-être même trop parfaite ; sans paraître outrecuidant, il y a une forme d’emphase qui me gêne un peu. Dans le même temps, je suis sensible à son économie formelle et narrative.
J.-C.C. : L’ouvrage montre bien les difficultés physiques et psychiques de Michel-Ange. Les œuvres fortes naissent-elles toujours dans la douleur ?
C.L. : Je pense que Michel-Ange était profondément mélancolique. Il était tyrannisé par ses émotions, persécuté par son père, complexé par son physique et ce nez cassé lors d’une rixe. Ses admirables poèmes en portent témoignage. Il était aussi accablé de ne pas pouvoir achever ses projets. Il a mis toutes ses forces dans le plafond de la Sixtine pour y porter la dernière main. Mais n’oublions pas que ses commanditaires lui offraient des conditions de travail et d’hébergement très confortables. Après la Sixtine, il vit reclus à Rome dans une immense demeure avec de nombreux domestiques. Le prix de la solitude.
J.L. : Il y a certains artistes qui œuvrent dans l’allégresse et l’euphorie. D’autres, en effet, voient leur création traversée par la douleur et la violence. Michel-Ange, lui, est un artiste sombre, mais aussi éminemment citoyen, et David est vraiment l’œuvre de la cité.
J.-C.C. : Sculpteur, peintre, architecte, urbaniste, Michel-Ange excelle dans de nombreuses disciplines. Existe-t-il aujourd’hui un artiste qui pourrait lui ressembler ?
J.L. : D’une certaine manière, on peut penser à Le Corbusier. La sculpture est aujourd’hui un art très différent qui associe plusieurs disciplines. Le numérique traverse aussi toutes les frontières. À la Biennale d’architecture de Venise, les expositions dans les pavillons tiennent à la fois de l’architecture, du graphisme, de la peinture, du numérique. Du reste, on s’y perd parfois un peu.
C.L. : Cela n’existe plus car la vocation de l’art a changé, ainsi que la croyance, alors immense, en ses pouvoirs – esthétique, éthique et politique.
J.-C.C. : On utilise aujourd’hui le mot « mécénat » à tort et à travers. Quelle est votre définition du mécène ?
C.L. : C’est un protecteur privé qui met de l’argent à disposition d’un artiste, sans commande particulière. Une munificence désintéressée. En ce sens, les nombreuses bourses ou les résidences d’artistes sont les plus proches du mécénat authentique.
J.L. : Je partage la définition de Colin Lemoine, excellente.
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Entretien avec Jack Lang, ancien ministre de la Culture et Colin Lemoine, historien de l’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°377 du 19 octobre 2012, avec le titre suivant : Entretien avec Jack lang, ancien ministre de la Culture et Colin Lemoine, historien de l’art