Jack Lang signe ce mois-ci avec Colin Lemoine, collaborateur de L’œil, une passionnante
biographie de Michel-Ange dans laquelle la vie et l’œuvre de l’artiste sont relues
à travers les rapports qu’il a entretenus avec la Cité.
Jack Lang signe ce mois-ci avec Colin Lemoine, collaborateur de L’œil, une passionnante biographie de Michel-Ange dans laquelle la vie et l’œuvre de l’artiste sont relues à travers les rapports qu’il a entretenus avec la Cité.
Fabien Simode : Vous avez signé en 1997 un ouvrage sur François Ier, puis un autre en 2002 sur Laurent le Magnifique, deux personnalités « politiques » incontournables de la Renaissance. Pourquoi vous intéressez-vous aujourd'hui à une autre « puissance », artistique cette fois : Michel-Ange ?
Jack Lang : Les artistes, peintres, sculpteurs et architectes de la Renaissance, je les croise en permanence à travers mes lectures et mes recherches. Lorsque que je me passionne pour François Ier, c'est d'abord pour l'un de nos rois « italiens » qui a voué un tel amour pour les intellectuels et les artistes de son temps qu'il les a importé en France. Léonard bien sûr, mais aussi d'autres créateurs qui ont travaillé aux châteaux de Blois, de Chambord… Lorsque je me suis plongé dans la vie de Laurent le Magnifique, cela a été la même chose : je suis entré en dialogue intellectuel avec les plus grands artistes de son temps, dont Michel-Ange.
F.S. : À quand remonte votre rencontre avec l'œuvre l'art italien ?
J.L. : Mon premier voyage d'adolescent hors de France – j'avais 17 ans –, je l'ai réservé à l'Italie, et à Florence en particulier où j'ai eu mes premiers vrais contacts avec l'art de la Renaissance italienne. À l'époque, je me souviens avoir pris un billet circulaire – qui n'existe plus aujourd'hui – qui m'avait permis de visiter Milan, Venise, Ravenne, Rome, Naples… Mais j'ai d'abord été attiré par l'art de Raphaël puis, plus tard, par celui de Léonard de Vinci sur lequel j'ai travaillé lorsque j'étais maire de Blois. Mon intérêt pour Michel-Ange est venu après. J'ai été autant séduit par le travail d'architecte et de sculpteur – son David m'avait, à l'époque, beaucoup plus impressionné que ses fresques de la Sixtine – que par le personnage, cet artiste aux superlatifs. Sa peinture, au départ, me donnait parfois le sentiment d'être un peu trop maniérée, trop « pompeuse ».
F.S. : Comment le projet de livre avec Colin Lemoine est-il né ?
J.L. : Ce projet est né de mon ami historien Antony Rowley, aujourd'hui décédé, à qui nous dédions d'ailleurs ce livre. C'est Antony, le premier, qui m'avait soufflé de m'intéresser de plus près à la vie de Michel-Ange. La rencontre avec Colin Lemoine fut ensuite déterminante, qui a mis toute son érudition au service de notre ouvrage. La dimension de pouvoir de ces artistes de la Renaissance, érudits, parfois diplomates, qui ont évolué au milieu des princes et des papes, a-t-elle contribué à séduire l'homme politique que vous êtes ? Suis-je réellement un homme politique ? Je pense être d'abord un homme de culture. Quant au pouvoir, il est partout où un homme, ou une femme, exerce une forme d'ascendant, lié soit à un mandat soit à son talent. Le pouvoir de l'architecte sur une ville est immense. Or, par son prodigieux génie, par sa vigueur, par sa puissance de travail, Michel-Ange était un homme qui exerçait sur la matière un pouvoir immense. Il était d'ailleurs célébré en son temps, nous le rappelons dans le livre, comme une sorte de dieu ! Le plus grand des pouvoirs est celui du créateur, capable ex nihilo de créer un monde nouveau, de transformer le plomb en or. C'est un pouvoir infiniment plus grand que celui que détiennent un certain nombre d'hommes politiques aujourd'hui. Mais il est vrai que la relation entre les hommes de pouvoir, politique et religieux, et Michel-Ange est passionnante.
F.S. : Peut-on établir un parallèle entre la période de la Renaissance et celle que vous avez vécu sous la présidence de François Mitterrand ?
J.L. : J'ai eu le bonheur de bénéficier de la confiance d'un homme éclairé, d'un président bâtisseur véritablement amoureux des arts et des artistes : de l'architecture, du théâtre, du cinéma, de la sculpture aussi. Mais n'exagérons pas. Cinq siècles nous séparent de la Renaissance, c'était un autre monde.
F.S. : Lorsque vous commandez en 1985 à Daniel Buren Les Deux plateaux, ses fameuses « colonnes » pour le Palais Royal, avez-vous en tête les grandes commandes passées à Michel-Ange ou Raphaël par exemple ?
J.L. : Nous pensions avec François Mitterrand que l'art, la culture et la science étaient appelés à vivre l'une des toutes premières places dans la vie de la société. Nous le pensions par passion et, aussi, parce que nous sentions que sa présidence devait être marquée par un certains nombres de grands gestes de l'esprit. On peut ne pas aimer ces gestes, il n'en demeure pas moins que la présidence de François Mitterrand, et mon passage en tant que ministre de la Culture, auront été marqué par un certain nombre de changements. D'ailleurs, la plupart des décisions que nous avons prises au cours de cette saga culturelle s'incarnent aujourd'hui encore. Prenez la bataille du Louvre, elle perdure dans le futur Louvre-Lens et dans l'ouverture, ce mois-ci, des nouvelles salles islamiques. La bataille du livre aussi, inaugurée par la bataille du livre à prix unique, immédiatement suivie par la construction d'un millier de bibliothèques en France et la construction de la nouvelle Bibliothèque nationale de France, garde toute sa fraicheur lorsqu'il s'agit de mener des combats pour préserver le droit d'auteur ou imaginer de nouvelles solutions relatives au livre numérique. Depuis la transfiguration de la cour d'un monument historique par Daniel Buren, y a-t-il eu un geste de même nature ? Je ne le pense pas…
F.S. : Vous rappelez d'ailleurs dans la préface de Michel-Ange votre attachement à la commande publique…
J.L. : C'est capitale. François Mitterrand, qui était un amoureux de Florence – si François Ier a été le plus italien de nos rois, François Mitterrand demeure le plus italien de nos présidents – m'a fait comprendre qu'il fallait restaurer la commande publique, notamment pour les sculpteurs qui, sans un soutien de l'État, vivent difficilement. Même si son souhait était aussi de marquer son mandat par des actes de souveraineté culturelle.
F.S. : L'État peut de moins en moins consacrer de budget à la culture. Dans ce contexte de changement, la commande publique ne va-t-elle pas revenir au mécénat privé, incarné à la Renaissance par les Médicis ?
J.L. : D'une certaine manière, les François Pinault et Bernard Arnault sont les nouveaux princes de l'art. Quand à partir de 1981 nous avons ouvert un certain nombre de chemins en direction de l'art contemporain, nous défrichions des terres relativement nouvelles. Les pouvoirs publiques étaient, à cette époque, peu engagés en faveur de la création. Le Centre Pompidou lui même était davantage tourné vers l'art moderne que vers l'art contemporain. À Paris, il n'y avait par exemple que deux galeries de photographie et, en la matière, la province était un désert. Depuis, nous avons créé les Fracs, et un grand nombre de centres d'art contemporain et de galeries privées ont vues le jour partout en France. Dans ce nouveau contexte, quel doit être le rôle des pouvoirs publiques ? Contexte qui est aussi celui, je le constate, de l'inflation des prix et des œuvres ? Il est bien difficile de répondre. Mais certainement des commandes exemplaires et emblématiques sont à imaginer. Je crois, pour revenir à Michel-Ange, que l'idée même de commande doit demeurer. Qui doit en être le commanditaire ? Une commission, un président éclairé, un ministre… ? J'ai tendance à penser, même si c'est politiquement incorrect, que les commandes signées d'une personne sont plus « démocratiques » qu'une commande non signée, et donc non assumée, par un collège anonyme. Cela vaut aussi, bien sûr, pour les commandes architecturales. Souvent, un jury se réunit, décide et puis s'envole sans que l'on sache, au final, à qui attribuer la responsabilité du bâtiment. Ce point mérite une réflexion.
F.S. : Que dites-vous à l'actuelle ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, qui doit, dans le même temps, faire face aux attaques de Bercy contre la loi sur le mécénat et répondre à la grogne de l'art contemporain qui n'a pas vu son budget dégelé, contrairement au spectacle vivant ?
J.L. : La France doit tout mettre en œuvre pour rester un modèle culturel. Il ne s'agit pas seulement de préserver les crédits actuels qui ont été rognés depuis 1993. Il faut imaginer des actions nouvelles. Je pense, notamment, à la nécessité de redonner au plan pour les arts et la culture à l'école [Plan Tasca-Lang], mis en place en 2001 et détruit ensuite par messieurs Luc Ferry et Xavier Darcos, toute son ampleur. Arrêtons de verser des larmes de crocodiles sur la démocratisation de la culture si l'on n'est pas capable de donner aux enfants de ce pays un accès à l'art. Sur ce point, il est grand temps de passer aux actes. Le plan art et culture à l'école était extrêmement ambitieux. Entré en application, il avait suscité un formidable enthousiasme aux seins des communautés artistiques et éducatives, et il avait commencé à porter ses premiers fruits. L'expérience est là, les équipes existent toujours. Je crois que les deux ministres directement impliqués aujourd'hui, Aurélie Filippetti [ministre de la Culture] et Vincent Peillon [ministre de l'Éducation nationale] en ont la claire conscience.
F.S. : Consacrerez-vous un jour une nouvelle biographie à un autre artiste ?
J.L. : Avant même de penser à un nouvel ouvrage, je serai heureux que notre Michel-Ange, sans doute imparfait, donne envie aux jeunes générations d'aller découvrir l'œuvre du maître. Mais j'aime énormément la ville d'Urbino, en Italie. Alors peut-être un jour, écrirai-je sur Raphaël que j'admire tant…
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Jack Lang - « Michel-Ange était célébré en son temps comme un dieu »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°650 du 1 octobre 2012, avec le titre suivant : Jack Lang - « Michel-Ange était célébré en son temps comme un dieu »