Décédé prématurément, l’artiste autrichien n’en a pas moins légué une œuvre prolifique et très personnelle où la figure et le nu dominent, au grand dam de ses contemporains.
Egon Schiele (1890-1918) est mort à vingt-huit ans. Malgré une carrière si courte, l’artiste viennois réussit à s’imposer comme l’un des plus grands artistes expressionnistes de sa génération. Fils d’un chef de gare, le jeune Schiele montre très tôt de grandes capacités pour le dessin, tout autant qu’une grande aversion pour les études.
À seize ans, il entre à l’Académie des beaux-arts de Vienne, il est alors le plus jeune élève de l’école. Lassé très vite par cette formation trop académique, il quitte l’école et crée le Neukunstgruppe, le « groupe du nouvel art ». Puis, séduit par la Sécession viennoise, il se rapproche de Gustav Klimt et devient son élève.
Schiele peint la sexualité en même temps qu’il la découvre
Fasciné par le corps humain, Egon Schiele se démarque de son maître dans les années 1910, élimine tout l’univers ornemental propre à l’Art nouveau pour ne laisser que des corps nus, isolés sur des fonds monochromes.
Non seulement il dessine vite et avec génie, mais il manie la couleur avec un talent incroyable. Plutôt que de se servir d’elle pour créer du volume, il lui donne une fonction purement expressive : recouverts de teintes verdâtres, bleues ou orangées, les corps squelettiques, les mains calleuses et les visages osseux paraissent tuméfiés, prêts à se décomposer. Aucun de ses dessins de l’époque ne laisse le spectateur indifférent.
Comme l’explique Jane Kallir dans le texte d’introduction de l’ouvrage Erotica, ce qui rend les portraits d’Egon Schiele si émouvants et si puissants, c’est probablement que ce jeune adulte reproduisait la sexualité, de façon extrêmement primitive et brute, en même temps qu’il la découvrait dans sa vie. À travers ces personnages tordus, déformés et tourmentés, qui exhibent si ouvertement leurs parties génitales, il traduit la brutalité de l’acte sexuel, ainsi que toute l’angoisse qu’il ressent face à sa propre sexualité.
En 1912, l’artiste est arrêté pour atteinte à la pudeur
Persuadé que l’artiste remplit une mission sacrée et doit s’affranchir des limites imposées par les codes sociaux, il privilégie l’érotisme cru au détriment de l’esthétisme. Si ses dessins choquent encore aujourd’hui, ils scandalisaient le public de l’époque à tel point qu’en 1912, Egon Schiele fut arrêté et emprisonné trois semaines pour atteinte à la pudeur. Mais l’artiste continua à peindre et à dessiner, et participa en 1913 à de nombreuses expositions internationales.
Ce n’est qu’en 1915, alors qu’il rompt avec la sulfureuse Wally, qui lui servait jusqu’alors de modèle, et qu’il épouse Edith Arms, issue d’un milieu bourgeois, que l’artiste modifie et assagit sensiblement son style. Les corps de ses personnages perdent leur fébrilité, le trait est moins tourmenté, les courbes sont moins anguleuses, l’expressivité est réduite.
En 1918, Egon Schiele est alors au sommet de sa notoriété. Sa femme, enceinte de six mois, succombe à la grippe espagnole. Il mourra trois jours plus tard.
Erotica d’Egon Schiele, coffret de 120 pages dont 20 lithographies, texte de Jane Kallir, édition numérotée de 1 à 1200, éditions Anthèse, 850 €, www.anthese.fr
Les éditions Anthèse, une histoire de famille
Les éditions Anthèse fondées par Claude Draeger en 1984, sont la continuité d’une longue lignée d’imprimeurs de prestige remontant au XIXe siècle. Cassandre, Cocteau, René Vincent ont collaboré aux ateliers des frères Draeger. Ces mêmes ateliers sont à l’origine de trésors de bibliophilie comme l’impression du premier volume de la pléiade d’André Malraux : Saturne, essai sur Goya. Désormais, dirigées par Nicolas Draeger, les éditions Anthèse ont lancé en 2004, la réédition en lithographie de l’album Jazz de Matisse à 1500 exemplaires. Son succès a donné lieu, en 2005, à un second tirage à 1300 exemplaires. C’est donc l’œuvre érotique d’Egon Schiele qui fait désormais l’objet de toutes les attentions.
Qu’est-ce que la lithographie
Technique d’impression avec une matrice en pierre, la lithographie permet la reproduction à plusieurs exemplaires de dessins exécutés à l’encre ou au crayon. Le dessin se pratique sur la pierre qui est ensuite humidifiée. Absorbée par les traits du dessin, l’encre est repoussée par les surfaces humides ce qui permet le report du dessin sur la feuille. Apparue en 1837, la lithographie couleur nécessite autant de matrices en pierre que de couleurs. Aujourd’hui, la plupart des lithographies ne sont plus exécutées sur pierre mais sur plaque de zinc, d’aluminium grainé ou autres matériaux modernes (Erotica est reproduit selon cette méthode). La lithographie a donné naissance à l’offset, procédé offrant un grand nombre d’impressions en un temps record et utilisé par les imprimeurs pour la fabrication de revues dont L’œil.
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Egon Schiele la sexualité à l’état brut
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°599 du 1 février 2008, avec le titre suivant : Egon Schiele la sexualité à l’état brut