Le jazz s'invite dans les pages de L'Œil. Cette divagation sur le jazz et l'art est librement inspirée par une des thématiques de chaque numéro. Ici, Duke Ellington tutoie les étoiles.
Devant la reproduction du LEM, entre deux planètes, il est assis à son piano quand la caméra semble le surprendre, de dos encore. Il joue quelques notes, ses doigts sautillent, légers, séducteurs. Pas de doute, c’est Duke. À 70 ans, le musicien est un notable de la culture américaine, décoré quelques semaines plus tôt par le président Nixon. « The honorable Dr Edward Kennedy Duke Ellington », comme l’annonce le présentateur de ce programme spécial pour les premiers pas de l’homme sur la Lune, s’est vu confier par la chaîne ABC la composition d’un poème musical. On n’a pas encore vu son visage. Il s’arrête et se tourne vers la caméra. Ses poches sous les yeux lui font le plus beau regard du jazz. De l’univers, ce soir-là. Avec classe et décontraction, dans sa veste rouge, Duke remercie le présentateur, se dit plus qu’honoré d’avoir été invité à célébrer ce grand événement et annonce ses premiers (et derniers) pas comme chanteur. À son âge, estime-t-il, il peut tout oser : « I’m just a fly-by-night guy, but for you… I might be quite the right-so-right guy (Je ne suis qu’un gars de passage mais pour toi, je pourrais bien être le bon). » C’est une « Moon Maiden » à qui il s’apprête à déclarer sa flamme. Une divinité, une « jeune fille de la Lune ». Car « il doit y avoir une fille quelque part pour qu’un homme chante à son sujet. » Duke sourit. Et nul ne peut résister à ce sourire. Un coup d’œil au percussionniste qui a déjà commencé à jouer hors cadre, et il repose ses doigts sur le piano. La caméra tourne, comme un satellite, passe derrière le guitariste, puis derrière le batteur, en polo jaune (lune). Des épaules de boxeur et des mains nues qui caressent la caisse claire, évoquant les tambours de l’Afrique. C’est une cérémonie. Duke jubile. Il pose sa voix, parle plus qu’il ne chante, joue avec le rythme de la percussion et sa « viiiiiibration ». « Listen here, my dear (Écoute bien, ma chère). » On ne fait que ça. La séquence dure trois minutes tout compris. Nous sommes en juillet 1969. Bientôt, les Beatles n’existeront plus, les Stones rouleront sans Brian Jones, la pluie tombera sur Woodstock… Et Duke est là, éternel. Dans la Lune.
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Duke on the moon
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°781 du 1 décembre 2024, avec le titre suivant : Duke on the moon