L’historien de l’art Andreas Beyer examine, dans son dernier essai, la relation entre la corporéité et l’œuvre des artistes de la Renaissance.
Historien de l’art reconnu, notamment pour ses travaux sur le portrait mais aussi sur l’architecture de la Renaissance et Benvenuto Cellini, Andreas Beyer est l’auteur d’un nouvel essai où il s’interroge sur la place du corps de l’artiste et de la relation à son œuvre. Une courte citation de Michel-Ange, dans laquelle le maître florentin déclare « dans mes œuvres je chie du sang », est ainsi placée en exergue et ouvre ce livre d’une manière magistrale et incarnée. Celle-ci indique parfaitement le ton et l’esprit qui président à l’investigation menée par celui qui fut, entre autres, le directeur du Centre allemand d’histoire de l’art de Paris, entre 2009 et 2014.
Dans cet essai, originellement publié en allemand en 2022, puis en italien l’année suivante et désormais disponible en français, Andreas Beyer se donne pour objectif d’étudier la corporéité des artistes de la Renaissance. Jugeant celle-ci délaissée au profit d’une histoire presque uniquement basée sur une approche idéaliste et désincarnée, l’auteur cherche alors à retrouver « l’empreinte oubliée de la vie dans l’art ». Pour ce faire, il explore méthodiquement les divers rapports qu’entretiennent les créations des artistes avec le monde, et plus spécifiquement « l’imbrication foncière du moi physique et artistique ».
Bien que n’hésitant pas à mobiliser parfois des œuvres contemporaines ou des exemples issus de l’Antiquité, dans le but de suggérer au mieux « la longue durée » des mécanismes qu’il étudie, Andreas Beyer concentre principalement son analyse sur l’époque moderne. Cette dernière est, selon lui, le moment auquel « s’opèrent alors une prise de conscience […] et l’affirmation d’un moi corporel qui, sous toutes ses formes et jusqu’à son effacement, apparaît comme la condition première de l’individualité créatrice et l’expression de sa ténacité ». L’historien de l’art est parfaitement conscient que le sujet et la subjectivité ont été sans cesse redécouverts, depuis l’aube des temps jusqu’à nos jours. La Renaissance présente néanmoins, d’après lui, plusieurs spécificités. La première est que les sources ayant trait à cette question deviennent de plus en plus nombreuses à cette période, la seconde étant qu’il s’agit du moment où naissent certains modèles qui sont encore opérants aujourd’hui. Andreas Beyer explique par ailleurs son intérêt pour ce sujet très spécifique en réaction aux événements de son temps, notamment « face aux avancées d’un mouvement technospirituel transhumaniste qui ne voit dans le corps qu’un obstacle à surmonter », il souhaite donc, fort de constat, que son livre soit ainsi « un antidote qui s’impose de toute urgence ».
Les dix-sept chapitres, constituant cet ouvrage, couvrent un large nombre de thématiques. L’historien de l’art commence, tout d’abord, par explorer les liens entre le corps, l’esprit et l’identité, mais aussi ceux entre l’homme et le style. Vient ensuite une réflexion dédiée à la main, alliée précieuse de l’artiste. Andreas Beyer s’appuie sur une solide bibliographie, il démontre également une grande connaissance et maîtrise de son sujet. Il est néanmoins étonnant de ne pas le voir convoquer l’Éloge de la main, publié en 1939, par Henri Focillon, en appui de son raisonnement.
L’auteur consacre ensuite plusieurs chapitres passionnants sur la manière dont les artistes se vêtent et se coiffent, ainsi qu’aux rêves et à la mélancolie qui les étreignent. Albrecht Dürer tient une place centrale et déterminante dans les réflexions et propos développés par Andreas Beyer. Il traite notamment d’un étonnant dessin, conservé au British Museum, où l’artiste a tracé le patron pour la confection d’une chaussure à son pied, avec la découpe de la semelle. L’historien de l’art allemand examine de surcroît la relation qu’entretiennent les différents créateurs de la Renaissance avec la cuisine, les régimes alimentaires qu’ils suivent, mais aussi, plus trivialement, de leurs digestions. Dans cette vaste exploration de l’intime, il traite également de sujets difficiles, comme la vulnérabilité du corps, de même que la maladie, ou encore les troubles mentaux et le suicide.
Si la majorité des œuvres et sources mobilisées sont bien connues des spécialistes et amateurs de cette époque, certaines sont toutefois analysées sous un jour nouveau. Dans la lignée d’Ernst Kris et d’Otto Kurz, Andreas Beyer fait un usage minutieux et précis des biographies, légendes et autres anecdotes concernant la vie des artistes, notamment les célèbres Vite de Giorgio Vasari. Outre Albrecht Dürer, l’auteur s’intéresse à une myriade d’illustres maîtres dont Michel-Ange, Pontormo, Benvenuto Cellini, Léonard de Vinci, Raphaël, Hugo van der Goes, Francesco Borromini ou encore les frères Zuccari.
Dans cette plongée au cœur de l’art et de la corporéité, Andreas Beyer livre un essai d’une grande sensibilité, nourrie d’un propos riche et dense. Moins novateur qu’il ne pense l’être, l’ouvrage offre tout de même d’intéressantes perspectives et de stimulantes pistes de réflexion.
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La place du corps de l’artiste à la Renaissance
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°646 du 3 janvier 2025, avec le titre suivant : La place du corps de l’artiste à la Renaissance