Livre

ESSAI

La confrontation de l’art et du rêve

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2025 - 471 mots

L’auteur tente de saisir la représentation du rêve dans la peinture.

Est-ce un simple hasard que Victor I. Stoichita, universitaire reconnu, ayant publié en 2015 L‘Effet Sherlock Holmes, s’intéresse à l’une des énigmes les plus fascinantes, le rêve et sa signification ?

Spécialiste en herméneutique des images, Stoichita explore la « confrontation de l’art pictural avec le monde des songes ». Tâche ardue, celle de traquer la représentation de ce sujet insaisissable, de cet objet fugace qui semble échapper à toute articulation logique.

Pourtant, depuis l’Antiquité, l’humanité s’efforce d’interpréter les rêves, en élaborant des « clés des songes » aux interprétations souvent arbitraires et parfois fantaisistes. Le parcours que propose l’ouvrage –très illustré – débute cependant au Moyen Âge et s’arrête au XVIIe siècle, période durant laquelle, selon l’auteur, on assiste à la découverte du cogito, sujet pensant qui est aussi sujet rêvant. Obscur, le rêve inspire de nombreux textes que Soïchita met en regard avec les images. Sans surprise, les fantasmes érotiques, plus ou moins avoués, nourrissent les représentations artistiques – la magnifique envolée de Jupiter et Io du Corrège (1530-1533) ou, plus prosaïque, une femme voluptueuse, faisant son apparition dans le songe d’un jeune homme couché (Apparition nocturne de Jacob Jordaens). Songe et mensonge : le récit du dormeur à son réveil n’offre aucune certitude.

De leur côté, les images qui illustrent ces songes tentent d’inventer un espace autre, en décalage avec l’espace « physique » du narrateur (L’Amant rêvant, Le Roman de la Rose, vers 1375-1400).

Pendant la Renaissance, pour faire coïncider l’espace onirique avec la logique de la perspective géométrique, le rêve est intégré dans la structure générale du tableau mais situé dans sa partie supérieure (Le Songe de Constantin, Piero della Francesca, 1460). Ici, comme avec Le Songe de Philippe II (El Greco, 1578-1579), le rêve devient vision et glisse de l’univers intime à l’espace public, parfois avec des connotations politiques.

Stoichita rappelle d’ailleurs la typologie ancienne où l’oraculum, la visio et le somnium sont de différentes formes de prémonitions nous permettant d’entrevoir l’avenir.

L’autre face du rêve, le cauchemar, est incarnée ici par Jérôme Bosch, dont les formes restent étrangères à notre univers d’objets reconnaissables.

Parmi les chapitres particulièrement intéressants, mentionnons « Rêver au féminin », avec une étude éclairante de Vénus endormie de Giorgione ou encore « Si la vie n’était qu’un songe », cette incertitude fondamentale quant à la séparation claire entre rêve et réalité.

On aurait aimé que le livre aborde également la période moderne, en particulier les symbolistes et les surréalistes. Consolons-nous avec la célèbre toile de Jackson Pollock, Portrait and a Dream (1953), sur laquelle s’ouvre cette traversée onirique. À droite, un visage déformé, blessé, surgit. À gauche, un réseau de lignes enchevêtrées évoque la technique du dripping, propre à l’artiste américain. S’agit-il du « portrait » d’un rêve ou d’un portrait rêvé ? Ou, peut-être, les deux à la fois ?

La fabrique du rêve, songe et représentation au seuil de la modernité, Victor I. Stoichita,
Éditions Hazan 280 p., 110 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°646 du 3 janvier 2025, avec le titre suivant : La confrontation de l’art et du rêve

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