Cinéma

Dahomey de Mati Diop – Sortie le 11 septembre 2024

« Dahomey » : les statues revivent-elles ?

Par Adrien Gombeaud · L'ŒIL

Le 2 septembre 2024 - 438 mots

Ours d’or de la dernière Berlinale, « Dahomey » suit le retour au Bénin des trésors pillés au XIXe siècle. Un documentaire qui n’est pas sans soulever les débats.

« Quand les hommes sont morts, ils entrent dans l’histoire. Quand les statues sont mortes, elles entrent dans l’art. Cette botanique de la mort, c’est ce que nous appelons la culture. » Ainsi s’ouvrait en 1953 Les Statues meurent aussi. Mati Diop a sans doute beaucoup pensé au documentaire de Chris Marker, Alain Resnais et Ghislain Cloquet en réalisant Dahomey. Dans cet essai filmé, la réalisatrice d’Atlantique (2019) suit le retour au Bénin de vingt-six trésors royaux pillés par les autorités coloniales françaises en 1892. Le film s’ouvre au Musée du quai Branly où, précautionneusement, on emballe les statues pour les préparer au voyage. On se croirait dans une salle d’opération, ou peut-être dans le laboratoire d’un professeur Frankenstein qui ressuscite un corps. Telle est plus ou moins l’idée exprimée par la voix off. La plus imposante des statues, celle du seigneur du royaume de Dahomey Ghezo, s’adresse aux spectateurs en langue fon, les sous-titres emploient l’écriture inclusive. Il y a quelque chose d’à la fois irritant et naïf dans ce processus de fiction plaqué sur ces images documentaires : peut-on faire parler des œuvres ? Peut-on même leur prêter une pensée ? Les statues déménagent sans tout à fait retrouver leur fonction originelle et mystique. Au palais de la Marina, elles seront exposées de façon tout à fait similaire au Quai Branly. Ces statues ne parlent que par un artifice de cinéma. Sont-elles plus vivantes chez elles, à Cotonou, que chez les descendants de leurs ravisseurs, à Paris ? Dans leurs vitrines, elles ne quittent pas le domaine de l’art. Les statues meurent aussi. Pas tout à fait néanmoins. Car autour d’elles passe la vie d’aujourd’hui. Les statues génèrent des débats. À partir de la restitution d’un patrimoine, la population béninoise s’interroge et confronte ses idées sur son identité, sur les relations entre la France et l’Afrique, sur la langue, sur l’éducation, l’histoire, la diaspora… Ainsi la parole des contemporains fait-elle tourbillonner l’espace et le temps. Autour des œuvres se mêlent ainsi le passé lointain du Dahomey, celui plus proche d’un empire colonial français tout aussi révolu, les intérêts politiques du Bénin et de la France dans ce qui reste aussi une vaste opération de communication. Et déjà demain brille dans les yeux des étudiantes et étudiants. Ceux de Mati Diop se posent à nouveau sur l’énigme superbe de ces statues muettes. Sa caméra capte l’autorité majestueuse de visages d’animaux, de corps de guerriers… et le bois de nous regarder, terriblement vivant.

À savoir
Comédienne et cinéaste, Mati Diop est la nièce du grand metteur en scène sénégalais Djibril Diop Mambety. Son premier long métrage « Atlantique » sorti en 2019 a reçu le Grand Prix du Festival de Cannes. « Dahomey » a reçu l’Ours d’or au Festival de Berlin 2024.
À voir
« Dahomey »
de Mati Diop, documentaire, 1 h 08. En salle le 11 septembre.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°778 du 1 septembre 2024, avec le titre suivant : « Dahomey » : les statues revivent-elles ?

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