Mati Diop a filmé le retour au Bénin en 2021 de vingt-six œuvres pillées durant la colonisation française.
En 2021, la France a restitué au Bénin vingt-six œuvres des trésors royaux (trônes, statues, sceptre) pillées en 1892 à Abomey, capitale du royaume du Dahomey. Dès les premières minutes du film, une voix étrange dit vouloir quitter « la nuit », soit l’enfermement au Musée du quai Branly (Paris). C’est une entité appelée « 26 » qui parle, une créature au corps empêché par « cent trente ans de captivité ». Mati Diop filme les couloirs des réserves du musée, blancs et gris, ainsi que les caméras de surveillance omniprésentes : cet univers froid contraste avec les salles du musée aux tons ocre qui s’accordent aux sculptures. À aucun moment le spectateur ne verra l’ensemble des vingt-six pièces, car elles sont filmées comme un corps collectif, qui parle d’une seule voix. À Paris comme à Cotonou, la caméra s’attache aux gestes et aux visages : les mains gantées des régisseurs posées délicatement sur les statues d’Abomey, les visages concentrés des conservateurs, les sourires des visiteurs à Cotonou. La cérémonie officielle reste d’ailleurs à la marge, la réalisatrice préférant montrer les préparatifs et les réactions des ouvriers béninois face aux sculptures. Mati Diop filme les humains et les œuvres en plan rapproché, avec une caméra attentive, pour les englober dans un même univers. Si au Quai Branly cet univers était un peu engoncé, à Cotonou il s’agit d’un monde à la végétation luxuriante et aux vêtements chatoyants.
Le son et la parole tiennent une place centrale dans ce film, que ce soit les bruits de mise en caisse au musée parisien ou les témoignages des visiteurs à Cotonou. La prise de son semble étouffer légèrement les bruits, même dans les rues animées. Un moment unique émerge au cœur du film, quand les étudiants de l’université d’Abomey-Calavi débattent des restitutions : Mati Diop transforme alors la parole en flux qui circule au sein du groupe, comme une matière vivante. La caméra navigue d’un visage à l’autre avec une grande délicatesse, faisant de cette assemblée informelle un chœur de théâtre antique. Cette voix collective se mêle finalement à celle des sculptures sorties de la nuit, prêtes à affronter l’avenir.
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« Dahomey » ou l’incarnation d’une parole collective
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°639 du 20 septembre 2024, avec le titre suivant : « Dahomey » ou l’incarnation d’une parole collective