À Issoudun, dans l’Indre, le Musée de l’hospice Saint-Roch retrace l’histoire de la collaboration qui lie depuis 1968 un artiste, Alechinsky, à une maison d’édition, Fata Morgana. Histoire d’une amitié créatrice.
Fabien Simode : À quand remonte la première collaboration entre Pierre Alechinsky et les Éditions Fata Morgana ?
Sophie Cazé : L’amitié entre Pierre Alechinsky et Bruno Roy, le créateur de Fata Morgana, remonte à 1968 lorsque Bernard Dufour présente les deux hommes. Cette rencontre a débouché sur l’illustration de Tourmente, un texte de Michel Butor. Ce livre, le premier d’une longue série, est présent dans l’exposition, mais sous la forme d’un fac-similé, l’édition originale ayant été imprimée sur un papier calque d’architecte qui noircit à la lumière…
F.S. : Après Tourmente, les collaborations entre Pierre Alechinsky et Fata Morgana n’ont plus jamais cessé. Combien de livres ont-ils ensemble édités ?
S.C. : Soixante ouvrages, et cela continue puisque deux livres sont en préparation, l’un avec un texte d’Yves Peyré et l’autre de Salah Stétié. Tous les ouvrages édités jusqu’à aujourd’hui sont exposés au Musée de l’hospice Saint-Roch en regard d’œuvres d’Alechinsky et de documents de travail collectés par Bruno Roy qui a tout conservé depuis le début de leur amitié.
F.S. : On découvre dans cette exposition un Alechinsky écrivain, photographe, typographe… L’artiste semble avoir bénéficié d’une entière liberté d’expression au sein de Fata Morgana…
S.C. : Il s’est instauré entre les deux hommes un jeu, un perpétuel va-et-vient. Pour leur deuxième collaboration, par exemple, c’est Alechinsky qui est allé voir Fata Morgana en proposant d’illustrer Le Rêve de l’ammonite de Michel Butor [1975]. Cette collaboration à double sens s’est faite jusque dans la mise en page et, parfois, de belles histoires sont nées de cette relation, comme lorsque l’éditeur a acheté des cartes géographiques qu’il a proposées à l’artiste… Alechinsky est même allé jusqu’à redessiner la sirène, l’emblème de Fata Morgana !
F.S. : Les éditions ont-elles connu d’autres collaborations comparables ?
S.C. : Il y a eu un échange continu entre Jean-Gilles Badaire et Fata Morgana. Et le catalogue recense de nombreux artistes avec lesquels les éditions ont travaillé, comme Michaux. Mais une collaboration qui débute en 1968 [les éditions ont été créées en 1966] et qui perdure jusqu’à aujourd’hui, c’est unique.
F.S. : Est-il facile d’exposer des livres dans un musée des beaux-arts ?
S.C. : Dans le cas de Fata Morgana, le livre n’est rarement qu’un seul « objet ». Il y a des tirages de tête à côté d’éditions courantes. Pour nous, il est absolument magnifique de pouvoir montrer ces éditions de tête accompagnées de lithographies, d’eaux-fortes, de gravures ou de photographies signées Pierre Alechinsky.
Les tirages de tête sont relativement faciles à montrer puisque nous pouvons les présenter verticalement. Dans les vitrines, nous présentons en revanche des éditions ordinaires ouvertes pour mieux insister sur la mise en page. Même lorsqu’il n’y a pas d’illustrations, par exemple pour Far Rockaway [1977, texte d’Alechinsky], nous sommes allés chercher dans le corpus des œuvres de l’artiste une œuvre sur papier intitulée Far Rockaway, que nous avons empruntée au cabinet d’art graphique de Beaubourg, ainsi qu’une toile appartenant à un collectionneur privé. Alechinsky nous a lui-même prêté des œuvres, comme son Dotremont dans sa nuit lapone.
F.S. : Quel parcours avez-vous choisi pour l’exposition ?
S.C. : Un parcours thématique. L’exposition débute avec une présentation des couvertures de tous les livres édités. Ensuite, elle présente un très bel estampage de Pierre Alechinsky réalisé à partir de la plaque d’égout de Fontfroide, le lieu-dit situé près de Montpellier où est installée la maison d’édition. Le parcours se poursuit avec Butor, la relation entre Alechinsky et les poètes, dont Apollinaire au sujet duquel Pierre Alechinsky a publié son travail de fin d’études en 1948, des gravures jamais éditées avant 2001 [Le Poète assassiné], et s’achève avec Cendrars – la première fois que l’artiste a développé le thème du bateau sur la mer, cela a été pour illustrer un texte de Cendrars.
F.S. : Les visiteurs peuvent-ils consulter quelque part les livres ?
S.C. : J’ai souhaité que les visiteurs puissent en effet toucher les livres, découvrir les textes comme moi j’ai pu les découvrir. Un espace leur est donc consacré dans l’exposition. Parce que c’est en lisant les textes que l’on saisit davantage la correspondance entre l’éditeur et l’illustrateur. Mais il est vrai qu’il est difficile de montrer des livres quand nous ne sommes ni une bibliothèque ni une maison d’écrivain…
Musée de l’hospice Saint-Roch, Issoudun (36), jusqu’au 18 septembre.
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Alechinsky & Fata Morgana
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°638 du 1 septembre 2011, avec le titre suivant : Alechinsky & Fata Morgana