PARIS - C’est l’un des « jeunes » artistes les plus en vue de New York. Sa trajectoire est fulgurante.
Né en 1977 d’un père kenyan et d’une mère texane, Kehinde Wiley a grandi dans un quartier peu favorisé de Los Angeles. Pour soustraire le jeune Kehinde et son frère jumeau à l’influence des gangs, leur mère les a inscrits à des cours d’art mêlant enseignement théorique, visites et pratique. Le genre de formation qui marque durablement. Un passage par l’école des beaux-arts de San Francisco puis par l’université de Yale, l’une des plus réputées en arts plastiques aux États-Unis, a permis à l’artiste de trouver sa voix après avoir exploré différentes formes d’expression artistique (sculpture, vidéo, peinture abstraite) et, surtout, après s’être familiarisé avec les « cultural studies », qui influencent profondément son travail. Il serait difficile, en effet, de pratiquer aujourd’hui le type de peinture qui caractérise Wiley et le rattache à la grande tradition classique du portrait, si sa démarche ne s’ancrait pas dans les théories les plus contemporaines et si, tout en revendiquant l’héritage de ses prédécesseurs, il ne nous invitait à porter un regard très actuel sur la peinture de portrait.
Auréolé de la réputation de Yale, Wiley a été admis en résidence au Studio Museum à Harlem, où l’a repéré l’influent galeriste Jeffrey Deitch avant qu’il ne rejoigne la galerie new-yorkaise Sean Kelly et que ses œuvres n’entrent dans les plus prestigieuses collections publiques américaines (Metropolitan Museum of Art et Brooklyn Museum of Art à New York, Lacma à Los Angeles, Walker Art Center à Minneapolis [Minnesota]).
La galerie Daniel Templon présente la première exposition personnelle en France de Kehinde Wiley qui, pour l’occasion, est parti sur les traces de l’histoire coloniale française en Afrique (1880-1960) en explorant le Maroc, la Tunisie, le Gabon, le Congo et le Cameroun, nouvelle étape du projet « The World Stage » amorcé en 2006. Depuis cette date, Wiley sillonne le monde, des favelas de Rio aux faubourgs de New Delhi, organisant des castings qui lui permettent de choisir les modèles de ses portraits parmi les indigènes. Ceux-ci sont alors invités à prendre les poses de la grande peinture de portrait, les jeunes sujets de couleur se trouvant hissés au rang d’aristocrates ou de grands bourgeois d’antan – lesquels étaient blancs –, et parés de tous les attributs de la respectabilité sociale et de la puissance de ceux qui les ont précédés. Là où les anciens posaient dans des habits et environnements somptueux, Wiley représente ses modèles dans leur tenue de tous les jours et les sort de leur environnement pour les placer sur des fonds très décoratifs, en lien avec leur culture. L’utilisation de l’ornementation renforce la référence à la peinture classique et aux maîtres du portrait que sont Titien, Gainsborough, Bronzino, Van Dyck ou Ingres.
Peinture conceptuelle
Là où ses prédécesseurs situaient la puissance dans la sphère politique et économique, sociale, Wiley représente des gens jeunes, dont la puissance s’exerce souvent dans la rue, mais qui sont aussi érotisés, leur pouvoir d’attraction sexuelle étant bien supérieur à celui de leurs glorieux aînés, qui abandonnaient cette dimension à leurs compagnes. C’est ainsi une réflexion sur le pouvoir et la séduction, que ce soit celle des sujets ou du fond des tableaux que suscite cette peinture référentielle et plus conceptuelle qu’il n’y paraît. Peinture audacieuse par la virtuosité technique assumée, par ses couleurs éclatantes qui font le lien entre le pop art et le… hip-hop ; audace encore des effets de lumière entre les fonds, sur lesquels les sujets paraissent posés, et dans la séduction assumée des motifs décoratifs qui envahissent les personnages, ou encore dans le fait de présenter des travaux à l’huile dans de très beaux cadres en bois de rose. Travail sur l’identité raciale et sexuelle, la peinture de Kehinde Wiley interroge la grandiloquence des symboles de la domination masculine occidentale. Comment en douter à la vue de ces toiles ? Avec Kehinde Wiley, l’homme noir est incontestablement entré dans l’histoire… de l’art.
Jusqu’au 24 décembre, galerie Daniel Templon, 30, rue Beaubourg, 75003 Paris, du lundi au samedi 11h-19h, www.danieltemplon.com
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« The World Stage » ou l’étape française
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°379 du 16 novembre 2012, avec le titre suivant : « The World Stage » ou l’étape française