Vu à la télé !

NHK revient sur les excès du marché

Le Journal des Arts

Le 19 décembre 1997 - 468 mots

Les Japonais achètent peu d’œuvres d’art en ce moment. La raison tient plus à une émission de la chaîne de télévision NHK qu’à la sixième année de stagnation économique qu’affronte leur pays en huit ans. Diffusée en septembre, “Le musée en folie”? a révélé les mésaventures de certains des tableaux les plus célèbres achetés par des Japonais, et divulgué que des œuvres de qualité médiocre avaient été acquises à des prix exorbitants par des sociétés peu connaisseuses et trop avides de spéculation.

TOKYO - Les téléspectateurs japonais ont découvert que les sociétés de leur pays auraient dépensé un total de mille milliards de yens (60 milliards de francs) pour des tableaux dont beaucoup sont invendables, sinon à grosse perte. L’émission a également révélé que L’Acrobate de Picasso, vendu par Christie’s Londres en novembre 1988 pour 21 millions de livres – un prix record à l’époque –, avait été acquis par le président d’une société immobilière japonaise. Or, sa société ayant fait faillite en 1993, il a dû céder le tableau à un marchand occidental il y a trois ans, sans l’avoir jamais exposé en public. L’Acrobate a ensuite été revendu dix millions de livres par le grand marchand suisse Ernst Beyeler au millionnaire grec Stavros Niarchos – depuis disparu – qui avait sous-enchéri lors de la vente de 1988.

Ernst Beyeler, interviewé dans sa galerie de Bâle sur les achats japonais pendant les années quatre-vingt, a déclaré : “Je dispose d’un grand éventail d’œuvres, qui vont des post-Impressionnistes aux artistes contemporains. Les Japonais s’intéressaient à tout : Cézanne, Mondrian, jusqu’à Rothko. Ils admiraient tout ce que j’avais et achetaient tout”, ajoutant que s’il a toujours déconseillé aux collectionneurs privés de spéculer avec l’art, il s’en est abstenu auprès des marchands, considérant qu’en tant que professionnels, ils savaient ce qu’ils faisaient.

Autre exemple présenté lors de l’émission : les Noces de Pierrette de Picasso, adjugé à Paris au prix record de 300 millions de francs. Son acheteur, M. Tsurumaki, projetait alors d’ouvrir un circuit de course, l’"Auto Police", sur l’île méridionale de Kyushu. Mais il a dû fermer en 1991, un an après son ouverture, et le Picasso n’y a été exposé que quelques jours avant d’être saisi par une banque en guise de garantie. Le tableau est actuellement proposé à la vente au prix de 33 millions de dollars (194,7 millions de francs).

L’émission se terminait sur une interview d’Ernst Beyeler dans son nouveau musée de Riehen, près de Bâle, qui a coûté cinquante millions de dollars. Il y avouait : "Pendant cette période d’effervescence, le prix des œuvres d’art a monté de façon fantastique et j’ai gagné énormément d’argent. On a beaucoup critiqué depuis la folie de cette époque, mais elle a pourtant eu des côtés positifs. : j’ai pu enrichir ma collection et construire le musée."

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°50 du 19 décembre 1997, avec le titre suivant : Vu à la télé !

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