À l’occasion de l’Outsider Art Fair, des pièces d’artistes bruts, singuliers, populaires, naïfs convergent à Paris, mais qu’est-ce qui les distingue les uns des autres ?
FOIRE - Trente-huit galeries internationales, 1 000 m2 en plein cœur de Paris, à deux pas du Palais Garnier : avec treize nouvelles galeries cette année pour sa quatrième édition parisienne, l’Outsider Art Fair, installée depuis vingt-quatre ans à New York, confirme l’intérêt croissant des amateurs d’art pour les productions d’artistes en marge des circuits artistiques traditionnels. Les artistes « outsiders », tous des électrons libres donc ? Certes. À ceci près que l’art outsider englobe plusieurs « familles » artistiques, avec chacune ses réseaux de reconnaissance (Art brut, Folk Art, art singulier…). Et chacune s’avère le reflet d’une spécificité nationale, avec un univers et un vocabulaire esthétique propres.
À l’origine, « l’art brut » historique, prisé par les puristes. Conceptualisé par le peintre français Jean Dubuffet en 1945, il désigne cet « art des fous » apparu au XIXe siècle dans les asiles psychiatriques. Dubuffet collectionne alors les productions de ces malades, comme Aloïse Corbaz, qui ont attiré l’attention de leurs médecins, et bientôt d’artistes médiumniques et de créateurs compulsifs isolés. L’artiste, qui affirme la nécessité de maintenir l’Art brut loin du marché, lègue sa collection historique à la Ville de Lausanne en 1971. Aujourd’hui, certaines galeries, comme celle de Pierre Chave ou la Galerie du Marché, présentent à l’Outsider Art Fair des œuvres d’artistes de l’Art brut historique, c’est-à-dire collectionnées par Dubuffet.
C’est dans les années 1970 que le terme « outsider » apparaît aux États-Unis pour désigner plus largement les créations d’autodidactes, en marge de l’histoire de l’art. Là, un marché se développe. Et le terme « outsider » englobe non seulement l’Art brut, mais aussi des créations marginales, collectées au sein de réseaux spécifiques. Ainsi, aux États-Unis, se développe un intérêt pour le Folk Art, ou « art populaire », qui puise son imaginaire et ses codes dans la culture vernaculaire ; en France, des galeries s’intéressent à l’« art singulier », désignant les créations émanant le plus souvent d’autodidactes, éloignés des circuits traditionnels et se situant en marge de l’histoire de l’art ; au Japon, c’est un « art brut » contemporain émanant d’hôpitaux psychiatriques ou produit par des trisomiques qui a le vent en poupe… Même si, bien sûr, les frontières restent très poreuses.
Folk Art américain
Un corps reptilien, une tête de chèvre ou de cheval, des ailes de chauve-souris, des cornes, des sabots fendus… Voici le diable de Jersey, étrange créature censée habiter dans les forêts du New Jersey, aux États-Unis. C’est dans cet État qu’a vécu l’Américain Albert Hoffman (1915-1993). Il y a sculpté dans le bois des personnages issus du folklore américain, comme de la culture juive dans laquelle il a été élevé ou de l’Antiquité classique. Le Folk Art Museum de New York lui a consacré une exposition en 2002.
Art brut historique
Ses œuvres ont été acquises par Jean Dubuffet. Et, pourtant, Marthe Isely reste relativement peu connue. Née en Suisse dans une famille bourgeoise, cette femme devenue cantatrice et danseuse à Marseille a passé sa vie à dessiner les portraits des militaires qu’elle rencontrait, parmi lesquels celui du général de Gaulle ! C’est en poussant la porte de la Galerie Chave, ouverte en 1947, que Dubuffet a découvert ses œuvres au pastel, poétiques et enfantines. Marthe Isely aimait les signer « Maître Marthe d’Isely », avec la mention « Reproduction interdite ».
Art naïf russe
Un naïf ? Généralement « un autodidacte, sans formation académique, avec un style propre caractérisé notamment par une absence de perspective », résume Jelena Bobroussova-Davies, directrice de la Art Naive Gallery à Moscou. « Il est intéressant de relever que dans l’Union européenne et aux États-Unis, on tend à inclure l‘“art naïf” dans l’art “outsider”. En Russie, ce sont des catégories séparées », souligne la galeriste spécialisée dans l’art naïf. Ces dernières peuvent néanmoins se recouper. En témoigne cette œuvre d’Alexandre Lobanov, ce Russe sourd-muet qui après son internement en hôpital psychiatrique se met à dessiner hommes politiques, autoportraits et scènes de chasse où les armes à feu abondent. Ses œuvres, très prisées, sont aujourd’hui extrêmement rares sur le marché.
Art singulier français
Une fête au cœur d‘une nature foisonnante, baignée de couleurs psychédéliques… Tel est l’univers de la Française Ody Saban, née en 1953 à Istanbul, dont les œuvres sont conservées aussi bien au LaM à Villeneuve-d’Ascq qu’au Folk Art Museum de New York. « Hors du temps, hors des modes, l‘art singulier est une aventure française marginale qui offre un panorama différent des centres d‘art contemporain officiels et qui développe son propre réseau alternatif de diffusion et son propre marché », commente la galeriste Claire Corcia, installée à Paris depuis 2008.
Quelle différence entre un outsider, un artiste brut et un artiste singulier ?
« Outsider » est un terme désignant de façon générale un autodidacte qui produit ses œuvres en dehors du système du marché de l’art contemporain. Il n’est pas en dialogue avec l’histoire de l’art et ne relève pas de ses catégories – pop art, art conceptuel, etc. Dans les pays anglo-saxons, nous établissons peu de distinctions entre les différents types d’« outsiders », mais les Français emploient, par exemple, le terme de « singulier » pour désigner un artiste créant en dehors du contexte académique et des réseaux classiques ; contrairement aux artistes « bruts », il n’est pas dans une altérité mentale : il peut être éduqué, capable de défendre et de présenter son travail, mais sa création ne correspond pas aux canons et aux tendances de l’art contemporain.
Aux États-Unis, le Folk Art, c’est-à-dire l’art populaire, connaît un engouement particulier. Pourquoi ?
Contrairement à un artiste « brut », qui exprime un univers mental personnel, les artistes du Folk Art puisent leurs motifs (animaux, Indiens, figures légendaires) dans un imaginaire collectif. Cette imagerie très narrative reflète la culture américaine que se sont appropriée les différentes ethnies venues s’installer aux États-Unis. Les amateurs collectionnent ces pièces comme des antiquités.
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°694 du 1 octobre 2016, avec le titre suivant : Vous avez dit outsiders ?