Le Sénat devait entreprendre le 10 juin l’examen du projet de loi réformant la réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, discussion maintes fois reportée. Parmi les amendements proposés par les commissions : une indemnisation « au choix », à la charge du budget, avec un accompagnement fiscal pour les commissaires-priseurs, des simplifications techniques pour les futures sociétés de vente, une attention accrue aux personnels des études et aux experts, et enfin l’extension de la réglementation des ventes aux enchères à l’Internet. Au total, des propositions qui encadrent l’ouverture du marché dans « les limites d’un libéralisme bien tempéré ».
PARIS - Les sénateurs disposent de trois avis pour éclairer leur décision : celui de la commission des Lois présidée par Luc Dejoie qui a été saisie du projet, celui d’Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis au nom de la commission des Affaires culturelles, enfin celui de Yann Gaillard (commission des Finances) qui a conduit depuis plusieurs mois une étude sur le marché de l’art dans son ensemble et a procédé à des auditions étendues à l’économie de celui-ci. Sans surprise, les sénateurs ont été un peu plus réceptifs que le gouvernement à l’argumentation des commissaires-priseurs sur l’indemnisation.
Mais le projet de loi n’est pas bouleversé par les amendements proposés. Les rapporteurs ont effectué un important travail préparatoire pour éclairer les parlementaires sur le marché de l’art et la situation des ventes aux enchères. Les rapports et leurs annexes constitueront également des sources d’information précieuses pour les professionnels. À l’exception du mode de financement de l’indemnisation – la commission des Lois se prononçant pour la taxe sur les ventes inscrite au projet, celle des Finances proposant un financement par le budget –, les points de vue des trois commissions ont convergé, et leurs rapports argumentent de façon détaillée les questions que le Parlement devra trancher. Il faudra se référer aux trois rapports, qui ont tous été mis en ligne sur le site Web du Sénat.
“Brider” les ventes aux enchères sur l’Internet
Globalement, le retard de la réforme aura au moins permis d’affiner techniquement le projet, d’en éliminer beaucoup de zones d’ombre, et sans doute de le rendre plus opérationnel. L’économie générale du texte oriente les ventes aux enchères vers un régime de liberté contrôlée, comme le démontre de façon spectaculaire la proposition de “brider” les ventes aux enchères sur l’Internet (lire l’encadré). Le rapport du sénateur Gaillard, pour la commission des Finances, éclaire “les limites d’un libéralisme bien tempéré”, qu’il semble trouver un peu frileux en relevant que “n’osant pas faire de la vente aux enchères une activité comme les autres, on continue d’imposer aux commissaires-priseurs français des contraintes, au nom de la protection des consommateurs, notamment, qui ne favorisent pas leur compétitivité dans un marché désormais mondial”. S’interrogeant sur le “encore trop d’État ?” dans cette réforme, “conçue comme l’acclimatation des méthodes de gestion et des pratiques qui ont fait le succès des grandes maisons de vente anglo-saxonnes”, M. Gaillard explique l’atténuation du processus de libéralisation par différents facteurs. La culture nationale qui “préfère la réglementation à l’autorégulation” ; la structure prévisible du marché “qui restera moins concentré [...] la multiplicité des opérateurs rendant nécessaire une réglementation plus stricte que dans un régime d’oligopole”.
Le rôle du Conseil des ventes
Pour “ne pas céder à la tentation réglementaire et [...] faire confiance aux opérateurs [...] il faut aussi stimuler leurs réflexes d’autodiscipline au moyen d’une instance de régulation adaptée”, ce qui pourrait être le rôle du Conseil des ventes volontaires. Celui-ci pourrait jouer ce rôle éminent s’il assure réellement “une fonction de concertation et [fait] en conséquence toute leur place aux professionnels”, parmi lesquels les marchands qui assurent “la fonction de régulation [...] des ventes aux enchères”. Le fonctionnement du marché lui même impose “la transparence et la rigueur”, qui devraient être accrues en particulier par une publication rapide et exhaustive des résultats (y compris les invendus), une information complète dans les catalogues (y compris les opinions d’experts divergentes), une déontologie plus stricte, par exemple dans l’exécution des ordres d’achat...
En formulant ces recommandations, qui ne font l’objet d’aucune transposition dans le projet de loi, le sénateur Gaillard marquait les limites du texte et montrait l’ampleur des tâches qui attendent le Conseil des ventes et les opérateurs. Mais aussi l’État, à propos des différentiels de fiscalité et de la nécessité de renforcer le patrimoine culturel, en particulier “par une politique fiscale intelligente, [de] fixer les œuvres et favoriser les vocations de collectionneur”. S’il n’est pas certain que cette réflexion qui anticipe sur l’après-réforme sera suivie d’effet, c’est sans doute la voie à suivre par l’interprofession.
(extraits du rapport de la commission des Affaires culturelles)
Aujourd’hui, on assiste à un développement de services d’enchères en ligne dont l’accès n’est soumis à aucune condition. La question se pose donc de savoir quelle réglementation sera applicable à de telles ventes lorsqu’elles seront organisées par des prestataires de services établis en France. Faut-il considérer que du fait des difficultés de contrôle et de possibilités de contournement de la législation, il faut renoncer à vouloir légiférer pour de telles ventes ? Votre commission ne le pense pas. La proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certains aspects du commerce électronique dans le marché intérieur transmise au Parlement dans le cadre de l’article 88-4 de la Constitution (n° E-1210) précise dans son article 9 que « les États membres veillent à ce que leur législation rende possibles les contrats par voie électronique ». À cette fin, les « États [...] s’assurent [...] que le régime juridique applicable au processus contractuel n’empêche pas l’utilisation effective des contrats par voie électronique ». Par ailleurs, elle tend très légitimement à dissiper l’incertitude liée à la détermination du pays compétent pour contrôler ces nouveaux types de services, en optant pour le contrôle par le pays d’établissement du prestataire, au sens où l’entend la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. Si la proposition de directive traite de la question du droit applicable pour contrôler l’activité du prestataire de services, il importe de souligner qu’elle n’a pas pour objet d’établir des règles spécifiques de droit international privé relatives aux conflits de lois susceptibles de se substituer à la convention de la Haye du 15 juin 1955 et à la convention de Rome du 19 juin 1980. Votre commission a considéré qu’il n’y avait guère d’hésitations à soumettre aux dispositions prévues par le projet de loi les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques organisées par des prestataires établis en France. Certes, cela ne permet pas en tout état de cause de remédier à l’insécurité juridique engendrée par le développement des ventes aux enchères par Internet organisées par des sociétés établies hors de France. Cependant, prévoir expressément que les ventes volontaires aux enchères publiques par Internet organisées par des prestataires de services établis en France obéissent à la même législation que les ventes réalisées selon des procédés traditionnels présente plusieurs avantages. Un telle disposition protège les sociétés de vente d’une concurrence déloyale de la part des services en ligne si ces derniers échappaient en France à toute réglementation contraignante. Par ailleurs, elle ouvre explicitement la possibilité aux sociétés de vente de recourir à ce procédé. L’article 6 du projet de loi imposant aux sociétés de vente de tenir leurs ventes dans un « lieu » introduisait sur ce point une incertitude que votre commission a souhaité dissiper. Compte tenu des initiatives prises par les sociétés de vente étrangères, il importe de ne pas prendre de retard. La maison d’enchères américaine Sotheby’s, qui a déjà réalisé une vente de livres et de manuscrits en juillet 1998 sur Internet, a annoncé son intention de lancer dès l’été prochain un réseau de ventes aux enchères par Internet auquel seront associés des négociants d’art.
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Ventes aux enchères : vers un « libéralisme bien tempéré »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°85 du 11 juin 1999, avec le titre suivant : Ventes aux enchères : vers un « libéralisme bien tempéré »