Le marché de l’art et ses divers réseaux de ventes, que ce soit la salle de ventes aux enchères publiques ou le monde feutré des marchands, sont un microcosme fascinant qui effarouche souvent les collectionneurs novices. Le point sur les idées reçues et quelques clés pour démarrer une collection.
Fait-on toujours de meilleures affaires en salle de ventes publiques ? Faut-il craindre les marchands ? Quel circuit d’achat faut-il privilégier lorsque l’on débute une collection ? Autant de questions légitimes que se pose l’amateur, avant bourse délier. Selon Jean-Gabriel Peyre, secrétaire général du Syndicat national des antiquaires et expert en céramique ancienne, « le collectionneur va où il trouve l’objet que ce soit en ventes publiques où chez un marchand ». Pourtant, il y a une catégorie de collectionneurs qui déteste le système des enchères. D’autres ne jugeront que par la salle de ventes qui les stimule. Question de tempérament. Objectivement, si l’on observe le comportement des musées sur le marché, on s’aperçoit qu’ils achètent régulièrement des objets à petit budget comme à gros budget aussi bien chez les antiquaires que chez les commissaires-priseurs. En avril dernier, le musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye a par exemple acquis à Drouot un torque étrusque en bronze du ve siècle avant J.-C. pour 2 500 euros.
Objets dans leur jus
Jean-Pierre Osenat, commissaire-priseur à Fontainebleau et président du Syndicat national des maisons de ventes, prêche pour sa paroisse : « Même s’il y a des exceptions, d’une manière générale, on achète moins cher en vente publique. »
Les particuliers sont de plus en plus demandeurs. Un amateur de peintures anciennes a trouvé son bonheur dans l’achat de toiles anonymes aux enchères pour lesquelles la demande est plus faible faute d’attribution mais le plaisir intact. « Ces tableaux valent presque rien comme cette Danaé de l’entourage du Titien que j’ai payée 10 000 euros à Drouot ! » Les objets vendus en salles des ventes sont toutefois majoritairement adjugés à des professionnels qui les revendent avec une marge bénéficiaire. Certains collectionneurs souhaiteraient se passer de cet intermédiaire… Mais ce n’est pas aussi simple que cela. Dans les salles de ventes, « on trouve l’objet dans son jus, il n’est pas forcément nettoyé, restauré ou verni, en tout cas impeccable comme en boutique », reconnaît Jean-Pierre Osenat. Avec des ventes « Intérieurs » d’objets accessibles à tous, l’antenne parisienne de la prestigieuse maison de ventes Christie’s essaie de capter un public de jeunes collectionneurs. Se sont ainsi récemment vendus un daguerréotype dans son écrin d’origine pour 6 euros ; une lithographie signée de Maximilien Luce pour 132 euros ; une longue-vue du XVIIIe siècle pour 288 euros ou encore une paire de boutons de manchette en or et cornaline pour 705 euros. Les aficionados des enchères publiques apprécient la transparence des prix qui les rassure et le côté magique de l’objet enlevé avec le cœur qui bat la chamade quand le marteau tombe ! Enchérir est un jeu. Un jeu qui nécessite cependant une période d’observation pour en comprendre les règles et les rouages avant de s’engager. « Nous lançons en septembre des visites guidées informelles visant à détailler le processus d’achat en vente aux enchères et à conseiller les futurs acquéreurs dans leurs démarches », annonce le président de Christie’s France François Curiel. Pour Jean-Claude Dey, marchand et experts en armes et souvenirs historiques, « les enchères ne sont pas pour les indécis qui ont besoin de revenir plusieurs fois voir un lot avant d’acheter et ce n’est pas une question de prix ». La vente publique ne correspond pas à tout le monde. Pas à ceux qui sont tétanisés par la profusion des objets. Pas plus à ceux qui n’ont pas le temps de voir les lots exposés en salle d’exposition (deux jours en moyenne seulement) et se décider rapidement à l’achat, pour un budget déterminé sans compter environ 20 % de frais en sus et sans se laisser entraîner par la passion des enchères qui peut être dangereuse, du moins coûteuse !
Pour le libraire Michel Bouvier, la vente publique est « un lieu de rendez-vous mais pas de savoir. Les commissaires-priseurs tirent la couverture à eux mais la masse d’information gigantesque, y compris pour les petits objets que nous cataloguons, se trouve chez nous et pas chez eux. » Le collectionneur n’est pas pour autant toujours très à l’aise pour pousser la porte d’un antiquaire. Souvent à tort. Le marchand en art primitif Daniel Hourdé raconte qu’à l’âge de quatorze ans, il a « débarqué avec 150 francs en poche chez le grand marchand Maurice Ratton, le père de mon actuel associé. Aujourd’hui, j’ai à mon tour beaucoup d’émotion devant quelqu’un qui se présente avec un petit capital mais beaucoup de passion. » Bernard Dulon, un autre grand marchand de la même spécialité, affirme avoir « vendu une belle petite statuette ancienne Lobi de 800 euros à un passionné qui me l’a payée en huit chèques de 100 euros », alors qu’il expose en vitrine des chefs-d’œuvre à plusieurs centaines de milliers d’euros.
Le prestige de l’enseigne
Un collectionneur avisé nous informe que « les petits objets chez les gros marchands sont les gros objets chez des petits marchands. Il vaut donc mieux les acheter chez les premiers où ils sont souvent moins chers. En plus, on bénéficie du prestige de l’enseigne ! » Marchands et collectionneurs tissent souvent des liens d’amitié. Les services rendus par l’antiquaire à son acheteur peuvent être multiples : conseil et recherche d’un objet, présentation d’une pièce à domicile, délais de paiement ou paiement fractionné, rachat de la marchandise si nécessaire (en cas de divorce, besoin de liquidité ou achat d’une pièce plus importante), service après-vente en cas de cassure, salissure, restaurations… « Il m’est même arrivé de mettre de côté une céramique pendant six mois pour un client que je connais bien et qui hésitait », déclare Jean-Gabriel Peyre. « Regarder, lire et apprendre avant d’acheter, c’est ce que je dis à chaque nouveau visiteur, souligne Alain Paviot, marchand de photographies anciennes et modernes. Avec ce discours, je perds des clients mais si je leur vends quelque chose tout de suite sans ce travail préalable (même une photo à 1 500 euros, ce qui est déjà une somme), je suis encore plus certain de ne plus les revoir après. On est là pour assister les collectionneurs, pour les former. Qu’ils aillent acheter ailleurs après, on s’en moque, on a fait notre travail. » « Il faut embêter les galeristes, poser des tas de questions, même bêtes. On est là pour ça ! », insiste encore Bernard Dulon. Alors comment reconnaît-on un marchand sérieux, du moins dans votre spécialité monsieur Dulon ? « Il y a des endroits où les objets sont chers et d’autres endroits où les mêmes objets sont moins chers. Prenez une belle statue Fang du Gabon par exemple. Ça vaut entre 300 000 et un million d’euros. Il y a des gens qui en vendent dix pour ce prix-là mais même à 150 000 euros l’unité, c’est suspect. Les objets ont une cote. On est en droit de douter de l’authenticité ou de l’ancienneté de la marchandise vendue lorsqu’elle est largement en dessous des prix pratiqués. Pour ne pas tomber dans de tels pièges commerciaux, il faut aller chez les professionnels connus et aguerris, et comparer », répond l’intéressé. Dernière chose importante : pour garantir son achat, le collectionneur se doit d’exiger un certificat d’authenticité pour tout objet quelle que soit sa valeur.
Ce document qui engage le professionnel sur trente ans (contre dix ans en ventes publiques), doit comporter un descriptif complet avec photo et la mention des matériaux, de la taille, de l’époque, de l’état, des restaurations. Ni plus, ni moins.
Pour en savoir plus sur les antiquaires et les maisons de ventes, et plus généralement sur le marché de l’art, un petit livre fort utile vient de sortir aux éditions de l’Amateur : Guide du collectionneur et de l’amateur d’art, par un collaborateur de L’Œil, Fabien Bouglé. L’auteur, lui-même intervenant du marché de l’art, explique dans un style vivant comment acheter ou expertiser une œuvre d’art. Il décrit avec simplicité la fiscalité des transactions, le cadre juridique, le rôle des différents acteurs. La présentation est délibérément claire. Le parti pris résolument pratique. Questions/réponses, adresses utiles, exemples concrets jalonnent les chapitres. L’actualité braque-t-elle ses projecteurs sur la fondation Pinault ? Le guide traite en 3 pages de ce que sont les fondations. Les médias soulignent la panne de l’art contemporain français ? Le chapitre consacré à la fiscalité rappelle opportunément que les entreprises peuvent déduire de leurs impôts les achats d’œuvres d’artistes vivants. F. Bouglé réussit avec succès à démystifier un marché qui peut apparaître élitiste et complexe. Julien Tribut - Fabien Bouglé, Guide du collectionneur et de l’amateur d’art, Les éditions de l’Amateur, 190 p., 15 euros.
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Ventes aux enchères, antiquaires, galeries : où faut-il acheter ?
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Abonnez-vous dès 1 €- Lire Petit Dictionnaire des ventes aux enchères, rédigé par le Conseil des ventes volontaires, éd. La Documentation française, 8 euros. - Apprendre Drouot Formation, tél. 01 48 00 20 52, www.drouot.fr Christie’s Formation, tél. 01 42 25 10 90, www.christies.com IESA, Institut d’études supérieures des arts, tél. 01 42 86 57 01, www.iesa.fr - S’informer Le Conseil des ventes volontaires, tél. 01 53 45 85 45, www.conseildesventes.com Le Symev (Syndicat national des maisons de ventes volontaires), tél. 01 45 72 67 39, www.symev.org Le SNA (Syndicat national des antiquaires), tél. 01 44 51 74 74, www.antiquaires-sna.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°571 du 1 juillet 2005, avec le titre suivant : Ventes aux enchères, antiquaires, galeries : où faut-il acheter ?