En France, les collections publiques sont inaliénables à la différence d’autres pays où les ventes d’œuvres de provenance muséale sont fréquentes.
Le 16 février dernier, Sotheby’s Paris vendait aux enchères la plus importante collection d’Art nouveau français sur le marché depuis vingt ans : un ensemble de cent trente pièces provenant de l’ancienne collection du Garden Museum de Nagoya au Japon, estimé à 4 millions d’euros. Les adjudications ont flambé, pour atteindre 6,7 millions d’euros, enregistrant quelques records. La sculpture en bronze Femme ailée de Lalique, élément de la balustrade du stand de l’artiste à l’Exposition universelle de 1900, quadruplait par exemple son estimation haute pour atteindre 1,24 million d’euros. Avec les trois œuvres de Gallé destinées au Musée des beaux-arts de Reims, acquises peu avant la vente par l’État, les enchères dépassent les 7 millions d’euros.
De son côté, le commissaire-priseur Mac-Arthur Kohn, installé à Paris, organisait en mars la vente privée d’une vingtaine de tableaux anciens provenant du Musée du Gouvernement espagnol
Vrijthof de Maastricht (Pays-Bas), le tout évalué entre 3 et 4 millions d’euros.
Les musées comme des labels
De telles ventes de lots de provenance muséale en France sont pourtant rares. Et pour cause, dans nos musées publics, les œuvres d’art sont inaliénables. Mais il n’en est pas de même pour tous les pays. « Si l’Italie et l’Espagne sont très vigilantes sur leur patrimoine, l’Angleterre et les Pays-Bas se montrent plus ouverts, et les musées américains revendent fréquemment des œuvres pour en racheter d’autres : soit que certaines pièces doublonnent, soit que leurs arbitrages changent », observe Cécile Verdier, directrice Europe du département des arts décoratifs du XXe siècle et du design contemporain chez Sotheby’s.
La maison américaine dispose d’ailleurs à Londres et à New York de collaborateurs dont la mission est de développer ces ventes muséales, en tissant des liens étroits avec les conservateurs. « La réalité européenne est diverse. Mais les musées aux États-Unis et au Japon, principalement privés, jouissent librement de leur patrimoine, hors donations inaliénables », renchérit Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture et nouveau président du Musée des arts décoratifs à Paris.
L’intérêt de ces ventes à l’aura muséale est double. Pour le client, c’est une garantie supplémentaire d’acquérir un bien venant d’une institution reconnue. Pour la maison de ventes, cela lui confère une légitimité supplémentaire. « Ces tableaux conservés longtemps au musée de Maastricht sont dans un état exceptionnel. C’est un honneur d’avoir à disperser cette collection et la concurrence avec de nombreuses maisons étrangères a été rude », souligne Mac-Arthur Kohn. « Quand des œuvres se trouvent dans une institution depuis vingt ans, cela leur donne une plus-value, qui ne se reflète pas dans l’estimation, mais dans les résultats », affirme Cécile Verdier.
Ce genre de « label », les maisons ne se privent d’ailleurs pas de le valoriser, de l’intitulé même de la vente à celui du catalogue. Idem des conférences données en France ou à l’étranger, la provenance muséale est partout mentionnée. Le catalogue répertoriant les lots à adjuger est d’ailleurs particulièrement soigné, alimenté de contributions d’éminents experts et historiens de l’art, traduit bien sûr en anglais, et adressé à de nombreux conservateurs.
Un phénomène exponentiel
Dans le cas des deux ventes parisiennes opérées par Sotheby’s et par Mac-Arthur Kohn, les musées n’ont pas cédé directement leurs œuvres. Le magnat de l’immobilier Takeo Horiuchi souhaitait initialement transférer sa collection du Garden Museum Nagoya dans un musée plus vaste au pied du mont Fuji. Mais après le tsunami, il a jeté l’éponge et cédé ces œuvres à un collectionneur américain qui a lui-même revendu 10 % des pièces chez Sotheby’s.
De même, la famille Wagner-de Wit a légué ses collections à une fondation abritée par le Musée du Vrijthof en 1973, ainsi que des dons permettant l’achat de nouveaux tableaux. Le musée de Maastricht ayant décidé de s’ouvrir plus largement à l’art contemporain et à l’histoire de la ville, il a pour ce faire vendu certains tableaux flamands et hollandais à un collectionneur qui, lui aussi, a souhaité en disperser une partie de gré à gré.
Les musées se contentent, eux, de mettre en vente quelques pièces de temps à autre, afin d’alimenter leur budget d’acquisition. Ainsi chez Christie’s Londres en février 2011, quatre œuvres avaient été cédées par l’Art Institute de Chicago pour 10 millions de livres dont Verre et pipe de Picasso et Femme au fauteuil de Matisse.
En septembre dernier, Christie’s New York adjugeait pour 7,59 millions de dollars Accord bleu de Klein. Le vendeur, le « board of trustees » du Brooklyn Museum, souhaitait avec ces fonds acheter des œuvres d’artistes contemporains. À New York toujours, la maison de ventes de François Pinault réalisait une belle adjudication en novembre 2011 avec Les Mains de Paul Delvaux, cédé 6,58 millions de dollars pour le compte du MoMA, soucieux lui aussi de trouver de nouvelles ressources pour ses acquisitions, tout comme le Art Institute de Chicago – encore lui – qui lâchait des travaux de Sisley, Pissarro et Barbara Hepworth pour 5,2 millions de dollars.
Du fait de la prolifération de nouveaux lieux d’exposition privés, les ventes aux enchères de biens en provenance muséale pourraient se multiplier. « Le phénomène est très important en Asie, avec par exemple trois cent soixante musées ouverts en Chine en 2012, pour la plupart privés », note François Curiel, le patron de Christie’s sur ce continent. Et ce phénomène gagne la France, pourtant bien lotie en institutions publiques, sous l’impulsion de collectionneurs désireux de dévoiler leurs trésors. « La notion de musée est grandissante. On s’attend à être de plus en plus consultés à l’avenir, tant pour aider à la création de ces collections qu’à leur dispersion », constate Francis Briest, vice-président d’Artcurial.
Reste que le terme de musée est un peu galvaudé et que toutes les provenances ne se valent pas : en mars 2011, les trésors du Château de Gourdon, véritable petit « musée » privé longtemps ouvert à la visite, n’avaient pas atteint les scores escomptés, même si l’ensemble avait tout de même généré 42 millions d’euros.
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A vendre, œuvres de qualité « musée »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°656 du 1 avril 2013, avec le titre suivant : A vendre, œuvres de qualité « musée »