Quitter le monde des musées pour celui du marché serait blasphématoire en France, un pays encore attaché à une séparation étanche entre les deux univers. De l’autre côté de l’Atlantique, ces mouvements n’émeuvent guère. Après 21 ans à la tête du Museum of Modern Art (MoMA) de New York, Richard E. Oldenburg avait pris en 1995 la direction de Sotheby’s North America. À la même époque, Charles S. Moffett rendit son tablier à la Phillips Collection de Washington pour rejoindre le département impressionniste du même auctioneer. Cet été, la directrice du Guggenheim Museum de New York, Lisa Dennison, a quitté un musée où elle avait passé 29 ans de sa vie pour un poste de vice-présidente de Sotheby’s North America.
Pourquoi les maisons de ventes vont-elles pêcher leurs cadres dans les eaux muséales ? Pour leur cachet, mieux leur respectabilité. « Lorsque vous avez publié, que vous faites autorité dans votre domaine, et que vous avez aussi une approche universitaire, les clients ont confiance », explique Amin Jaffer, conservateur pendant 13 ans au Victoria & Albert Museum de Londres et récemment nommé directeur international du département des Arts asiatiques chez Christie’s Londres. Ce lustre académique risque toutefois de s’écailler à long terme, d’autant plus que les spécialistes des maisons de ventes n’ont guère le temps de publier ou de mener des recherches indépendantes. Plus que l’aura académique, les réseaux restent le nerf de la guerre. Les anciens conservateurs savent parfaitement qui possède quoi, puisqu’ils ont dû emprunter des œuvres pour monter leurs expositions. Leur tâche implicite est donc de transformer les prêteurs-donateurs en vendeurs ou acheteurs.
Transfuges
De leur côté, ces transfuges quittent souvent leurs fonctions au faîte de leur parcours, évoquant une volonté de « vitaliser [leur] carrière » ou de se fixer « de nouveaux défis ». « Les esprits les plus brillants de ma génération ne sont pas attirés par les musées, affirme Amy Cappellazzo, ancienne conservatrice responsable du département Art contemporain de Christie’s à New York. Aux États-Unis, le monde des musées est régi par un large consensus. Il est difficile de se réaliser dans un univers bureaucratique. Vous ne pouvez pas insuffler de vision. » Pour Amin Jaffer, « plus on vieillit, moins il y a d’opportunité dans le monde des musées car le turnover des directeurs est lent. Vous pouvez attendre des années avant de trouver une opportunité. » Faute de budget, leur marge de manœuvre est aussi limitée.
Un très gros bulletin de salaire motive enfin leurs décisions. Aussi, leurs anciens collègues reprochent-ils souvent aux « déserteurs » de préférer le veau d’or aux vaches maigres. « Ils s’inquiètent de moi et pour moi », remarque Amy Cappellazzo. Et de rajouter : « Quand j’étais conservatrice, j’avais une relation directe avec les artistes. Je n’en rencontre pas vraiment de nouveaux et ils ne sont pas très contents, car leurs œuvres se retrouvent en ventes publiques. » Pour Lisa Dennison, ce distinguo public-privé est un faux débat, car les frontières se sont estompées ces dix dernières années : « Les galeries font parfois des expositions très universitaires. À l’inverse, les musées sont devenus plus commerciaux. » Venant du Guggenheim, elle en connaît un rayon sur ce sujet...
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Vases communiquants
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°266 du 5 octobre 2007, avec le titre suivant : Vases communiquants