Pas de révolution cette année, pas de désastre non plus. La FIAC était, somme toute, avec ses 71 000 visiteurs, égale
à elle-même, une foire classique honorable, peu représentative des grandes tendances de l’art actuel ni des superstars du marché, mais dotée tout de même de belles œuvres pour qui voulait ouvrir ses yeux. Une foire qu’on trouverait agréable si on arrêtait de la comparer à Art Basel. Malgré un acte de malveillance qui a provoqué vendredi l’évacuation de la foire et gelé des affaires plutôt prometteuses, les exposants s’estiment globalement satisfaits.
PARIS - Entre les réponses évasives des uns et les volte-face des autres, une chose semble certaine : on peut vendre à la FIAC, mais pas tout. Certaines galeries françaises, parmi les plus importantes, ont péché par désinvolture. “Cela ne sert à rien de montrer ici ce qu’on a d’exceptionnel”, confie Daniel Lelong (Paris). Il est vrai que les pièces majeures du salon n’ont généralement pas trouvé preneur. C’est le cas de la magnifique gouache de Léger qui ornait le mur extérieur de la galerie Beaubourg (Vence), du superbe Seascape de Lichtenstein daté de 1965 et proposé pour 1,8 million d’euros chez Baudoin Lebon (Paris), de l’historique Tout terriblement de Victor Brauner offert pour 250 000 euros par la Galerie 1900-2000 (Paris), ou des irrésistibles dessins de Léger entre 150 000 et 250 000 euros chez Nathalie Serroussi (Paris).
Au-delà de 30 000 euros, les portefeuilles se grippent. Dans une tranche inférieure en revanche, certaines galeries s’en sont donné à cœur joie, à commencer par Marcel Fleiss (Paris), qui a vendu près de 50 pièces entre 1 800 et 90 000 euros. L’idée du cabinet de dessins, initié par le marchand, a fait son chemin, puisqu’on le retrouve au gré des galeries plus jeunes comme Chez Valentin (Paris). Les one-man-shows ont visiblement été plébiscités. Les pois ont déserté les dessins de Yayoi Kusama pour s’aligner en rouge sur le stand de la galerie Pièce Unique (Paris). Une dizaine de dessins réalisés pour fêter les quinze ans de la galerie se sont vendus dans une moyenne de 6 000 euros. La rétrospective des années historiques d’Hervé Télémaque a rencontré l’intérêt des institutions, mais aussi l’adhésion des collectionneurs, qui ont déboursé entre 20 000 et 80 000 euros. Les photos nocturnes de Marie Bovo sur le stand de Roger Pailhas (Marseille) se sont arrachées entre 4 500 et 9 000 euros. La galerie Nelson (Paris), qui venait pourtant à reculons, a cédé une dizaine des magnifiques photos de Thomas Ruff de la série Maschinen. Il faut dire que leur prix était particulièrement attractif, entre 18 000 et 24 000 euros. Ce chouchou de la scène artistique a pour politique de s’en tenir à un plafond raisonnable lors de chaque nouvelle production, avant que les prix ne grimpent furieusement. Certaines galeries étrangères qui proposaient des artistes dans des gammes de prix très raisonnables sont enthousiastes. C’est le cas de Mário Sequeira (Braga, Portugal) qui a vendu plusieurs photos d’Isabel Muñoz à 6 500 euros et une grande photo d’Helena Almeida pour 25 000 euros. La Lisson Gallery (Londres), dont les artistes comme Anish Kapoor se négocient à d’autres niveaux de prix, déclare avoir fait la meilleure FIAC depuis quatre ans.
Une section “Perspectives” moins musclée
Derrière la bonne humeur pointent quelques bémols, voire des fausses notes. La galerie Bernard Jacobson (Londres) s’avoue perplexe quant au goût des Français. La très belle sélection d’œuvres de Robert Motherwell, proposée entre 10 000 et 175 000 euros, n’a reçu qu’un succès d’estime. Ralph Wenicke, de la galerie Michael Janssen (Cologne), estime que le marché français est trop fermé : “Nous avons vendu quelques pièces uniquement à des gens que nous connaissions déjà. On aurait presque pu le faire de chez nous.” Ce qui n’est pas sans rappeler le refrain des galeries américaines l’an dernier. À demi-mot, les galeries Tega (Milan) et Zonca & Zonca (Milan) reconnaissent qu’il serait plus judicieux, au regard des frais, de confier des œuvres à des galeries parisiennes plutôt que de mobiliser une semaine entière leur énergie. Les critiques sont inchangées, parfois fondées : les collectionneurs français cèdent rarement au coup de foudre, les institutionnels privilégient les achats dans les galeries françaises, la section “Perspectives” est isolée et le public y arrive éreinté en fin de parcours. Et cette section ne fut cette année pas aussi musclée qu’elle le semblait sur le papier.
En marge de ces constats habituels, les retours stratégiques de Karsten Greve (Paris) et Pierre Huber (Genève), tous deux anciens conseillers de la Foire de Bâle, cultivent les interrogations. Leur présence étonne, tant l’un comme l’autre sont habituellement critiques. Tous deux avancent leurs pions. “Pourquoi ne pas faire une foire tournante, qui aurait lieu une année à Paris, une autre en Allemagne, une troisième ailleurs ? Sinon, pourquoi n’organiserait-on pas la FIAC au Grand Palais ou sur l’île Seguin ?”, s’interroge Karsten Greve avec une fausse ingénuité. Le cas de Pierre Huber est plus complexe. Le Genevois a modifié quatre fois son accrochage au gré de ventes frénétiques. Surtout, il avait apporté dans sa réserve, soustraite au regard de la plèbe, cinq pièces importantes, notamment un Richter, vendu 1,3 million de dollars (1,1 million d’euros), et un Basquiat, cédé pour 1,4 million de dollars. Cinq pièces rapidement négociées dans le cadre de rendez-vous privés et de deux dîners de collectionneurs organisés par ses soins. Avait-il besoin de la FIAC pour cela ? Évidemment non. “Mes clients voulaient venir à Paris. J’ai un projet pour Paris et le monde des foires. Je compte faire une foire universelle. Je sais déjà à quoi elle ressemblera en 2010. Pour cela, je suis en discussion avec des partenaires”, déclare-t-il, elliptique. S’agit-il d’un pétard mouillé comme en connaissent les fins de foire ? “Cela fait trois ans qu’il en parle. Il annonce toujours beaucoup de projets, mais n’en réalise qu’un sur trois”, assure un proche. Quoi qu’il en soit, de Lorenzo Rudolf à Samuel Keller, tous les maîtres es foires conviennent que Paris est une place idéale. Une place à prendre ?
Art Paris, qui s’est déroulée du 26 au 29 septembre au Carrousel du Louvre, a joui cette année d’un capital sympathie étonnant. À croire que la presse l’a défendue pour mieux enfoncer la FIAC ! Certes, les changements, fussent-ils homéopathiques, étaient visibles. On ressentait davantage d’homogénéité, et non les inégalités criantes de l’an dernier. Mais Art Paris reste ce qu’elle a toujours revendiqué : une foire de proximité. Les visiteurs sont de qualité, curieux, avisés, sans doute moins acheteurs cette année. Pourtant, les très belles vidéos “encadrées”? de Ger van Elk ont été emportées entre 20 000 et 25 000 euros à la galerie Durand-Dessert. On murmure même qu’une toile de Soulages se serait vendue pour 45 000 euros, plafond sans doute des dépenses au sein du salon. Malgré quelques ventes observées çà et là, certaines transactions, avoue-t-on, se sont faites à l’arraché. Ce qui n’a nullement terni l’ambiance bon enfant d’un salon qui, en marge du tumulte des grandes manifestations, continue son petit bonhomme de chemin.
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Une FIAC belle et sage
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Abonnez-vous dès 1 €Une explosion d'origine indéterminée est survenue vendredi 10 octobre à la FIAC à Paris, faisant deux blessés légers, un incident qualifié "d'acte de malveillance scandaleux" par les organisateurs. Tous les visiteurs ont été évacués après l'explosion. L'un des deux blessés, qui a reçu des éclats à l'œil, a été transporté à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu. Ses jours ne sont pas en danger. La police privilégie la piste d'un "mouvement protestataire", qui, en l'état des investigations, reste à déterminer. L'incident s'est produit près du stand de la galerie Krinzinger, de Vienne. Une seconde bouteille identique, qui n'a pas explosé, a été découverte dans un autre hall, reliée à un sac plastique comportant une inscription, a indiqué la police. "Art pas mort ; juste un cancer", était-il écrit sur le sac.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°179 du 24 octobre 2003, avec le titre suivant : Une FIAC belle et sage