La vente Breton, événement de la décennie

Une dispersion controversée

Le Journal des Arts

Le 21 mars 2003 - 646 mots

La vente de la collection André Breton, du 7 au 17 avril à Drouot, suscite la controverse. La dispersion des objets réunis par le père fondateur du surréalisme sonne le glas d’un projet de fondation. Au-delà des polémiques, l’événement consacre le surréalisme comme courant artistique essentiel du XXe siècle.

PARIS - La vente Breton aura bien lieu. Il faudra s’y faire, le mythique atelier parisien du “42 rue Fontaine”, près de Pigalle, a été disséqué et disloqué. Les 80 m2 du capharnaüm poétique d’André Breton, occupés par le fondateur du surréalisme de 1922 à 1966, sont désormais vides. Jusqu’à sa mort en 2000, Élisa Breton avait conservé en l’état l’appartement loué. Reflet fascinant de son illustre occupant, ce musée est devenu un inventaire de 6 250 lots expertisés et classifiés, attendant, au fonds des entrepôts, d’être installés à Drouot et offerts aux convoitises des acheteurs. Le désarroi des signataires de la pétition qui circule sur Internet pour protester contre la vente est compréhensible. Le “42 rue Fontaine” était plus qu’un bureau ou un fonds documentaire sur le surréalisme. C’était une œuvre d’art, ou chaque objet entrait en résonance avec les autres. Qu’en reste-t-il dans les lots présentés à Drouot dès le 1er avril ? Que penser, par ailleurs, de la fermeture d’un lieu qui, depuis la mort de Breton, était régulièrement ouvert aux investigations des chercheurs ?
Breton avait veillé à ce que sa correspondance soit versée au fonds Jacques-Doucet après sa mort. Pour le reste, il n’avait pris aucune disposition. Le comité de vigilance créé début février, dans la foulée des contestations, demande aux pouvoirs publics de préempter en masse. La “vente Breton”, estampillée “plus grand événement de la décennie du marché de l’art parisien”, a des allures de rendez-vous manqué. À qui la faute ? Pas à Élisa Breton, dernière épouse de l’écrivain, ni à Aube Breton-Elléouët – la fille qu’il eut avec Jacqueline Lamba –, ultime héritière de sa collection. Les deux femmes ont longtemps essayé, mais en vain, d’attirer l’attention des pouvoirs publics, et leurs subventions, pour créer une fondation. L’association Actual, présidée par l’écrivain Jean Schuster, bataillait également pour réunir l’argent nécessaire à la fondation. Aujourd’hui, les anciens de cett association, dissoute en 1993, sont amers. Seul Gaston Deferre, ministre de l’Intérieur sous François Mitterrand, réussit à lui faire obtenir un financement de l’UAP. Ironie du sort, le surréalisme compta donc parmi ses défenseurs le premier policier de France. Jamais le ministère de la Culture ne débloqua de fonds, même si Jean-Jacques Aillagon a assuré Bertand Delanoë que lors de la vente Breton “l’État acceptera de préempter pour le compte de la Ville de Paris”.
Aux yeux des proches du mouvement surréaliste, la vente aux enchères est une issue honorable. C’est certainement aussi le point de vue d’Aube Elléouët, qui cède la collection de son père sans prix de réserve. Breton, chineur et amateur d’enchères, vendit d’ailleurs certaines de ses pièces pour améliorer l’ordinaire ou faire d’autres acquisitions. Sans doute aurait-il détesté l’idée d’un musée, lui qui clamait dans sa revue Littératures que la seule réussite enviable était de devenir infréquentable. Sans doute aussi aurait-il souffert de voir les objets de son quotidien fantastique classifiés dans des catalogues, estimations à la clé, lui qui ne pensait pas qu’un galet ait moins de valeur qu’un Gustave Moreau. En revanche, il pourrait sourire en observant les gesticulations occasionnées par “sa” vente : Drouot réquisitionné pendant trois semaines, un intransportable catalogue de 9 kilos et 8 volumes... Sans oublier les centaines de bénitiers à l’esthétique discutable qu’il faudra accrocher aux murs de Drouot comme ils le furent dans la salle de bains de Breton, les moules à gaufres, la carapace de pangolin et autres squelettes en fil de fer qu’il aura fallu estimer... Autant d’aléas qui évoquent un “refuge contre tout le machinal du monde”. C’est ainsi que Julien Gracq décrivit l’atelier de Breton.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°167 du 21 mars 2003, avec le titre suivant : Une dispersion controversée

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