États-Unis

Un tour des galeries new-yorkaises

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 28 mars 2012 - 680 mots

Plusieurs galeries new-yorkaises ont profité de l’Armory pour mettre en avant
des artistes nés ou résidents aux États-Unis.

NEW YORK - Si la période n’accueille traditionnellement pas les meilleures expositions, le mois de mars à New York a réservé cette année quelques heureuses surprises dans les galeries. La photographie donne pourtant cette fois matière à s’attarder devant les clichés des deux excellents photographes que sont Catherine Opie et Paul Graham, à voir respectivement chez Mitchell-Innes & Nash et The Pace Gallery & Pace/MacGill Gallery. Toute à son travail sur les communautés, les identités individuelles et leur inscription dans le collectif, la première exposition, avec High School Football (2007-2009), a jeté son dévolu sur le milieu du football américain universitaire, saisissant des vues d’entraînements ou de match dans diverses villes du pays, mais aussi et surtout, des portraits d’une intensité troublante ; une touchante vulnérabilité émerge chez ces jeunes athlètes pas encore adultes mais plus tout à fait adolescents. Avec son projet The Present (2011), Paul Graham poursuit son travail sur l’Amérique contemporaine en examinant avec acuité la rue new-yorkaise. Il en capture l’énergie et les mouvements constants grâce à des diptyques ou des triptyques focalisés sur un même point et dont les clichés sont effectués à quelques secondes d’intervalle. La remarquable qualité de la lumière donne un aspect presque théâtral au quotidien urbain le plus banal et dénué d’artifices ou de mise en scène. Inclassable, Robert Grosvenor fait une fois de plus montre de son talent chez Paula Cooper, avec seulement deux sculptures faites de matériaux communs (fibre de verre, parpaings, aluminium, ciment…) adoptant une esthétique qui, en évoquant de manière allusive l’environnement domestique, demeure indéfinissable. C’est bien ce qui depuis toujours fait la force de ce travail, qui parvient à imposer une puissante charge visuelle sans effet de trop ni maniérisme.

Des propositions diverses mais séduisantes
Chez Cheim & Read, les jeunes années de Jonathan Lasker se révélent brillantes. Réunissant une vingtaine de toiles (1977-1985), l’exposition permet de saisir non seulement l’énergie intrinsèque à cette peinture singulière, mais surtout les bases de son élaboration. Étudiant à Cal Arts, en Californie, à la fin des années 1970, Lasker cherche à donner à sa pratique une ambivalence constitutive : abstraite, mais basée sur un fond figuratif, porteuse de formes positives et négatives, volumétrique et plate grâce au jeu du plan et de l’arrière-plan… Le tout constitue une fameuse réflexion sur l’objectivité contemporaine et le mode de réception et d’assimilation de l’objet peinture par le regard. Chez Derek Eller, Whiting Tennis, artiste installé à Seattle, présente des œuvres étonnantes, à la fois familières et distantes : des peintures à l’esthétique construite, des paysages conçus tels des assemblages plans contre plans, ou des sculptures sommaires mais très volumétriques, composées de matériaux utilitaires. Tout apparaît très architecturé. La technique est peu commune également, celle des tableaux surtout où se juxtaposent des zones colorées à l’acrylique et d’autres couvertes d’un papier peint, dont la texture et la pose sur la toile sont suffisamment précises pour donner l’illusion d’être de la peinture. Or, d’illusion, il est question en effet, tous ces motifs architecturaux relevant d’une transmutation de figures humaines ou animales. L’esthétique est intéressante, qui dans une temporalité indéfinie évoque le paysage romantique – et le fort lien que celui-ci entretenait entre l’homme et la nature – et le règne animal, non sans laisser percer une certaine fragilité.
L’un des accrochages les plus décalés est sans doute celui d’Ellen Harvey à la Dodge Gallery. Dans « The Nudist Museum Gift Shop », pensé comme une partie de son projet le Musée de l’échec (Museum of Failure), l’artiste déploit sur des étagères des dizaines de tableaux de nus singeant des styles et des époques diverses, qui plus exactement sont des copies d’objets figurant des corps nus, trouvés sur eBay et dans des boutiques de gadgets. Véritable exploration des formes du désir et de leur variation à travers l’image du corps nu et ses formes d’expression contradictoires, ce projet constitue une réponse à la fois juste et ironique à l’étalage contemporain de la nudité, devenu exponentiel sur Internet notamment.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°366 du 30 mars 2012, avec le titre suivant : Un tour des galeries new-yorkaises

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