Les galeries Antoine Laurentin et Le Minotaure rendent hommage à l’artiste méconnu Alfred Reth.
PARIS - Pour expliquer « le voile de la pénitence » tombé sur l’œuvre de l’artiste d’origine hongroise Alfred Reth, le critique d’art Jacques Dubois invoquait, lors de sa rétrospective en 1984 au Musée Toulouse-Lautrec à Albi, le « fier éloignement », « l’élévation spirituelle », bref un caractère rétif à toute vénalité. Ce que confirmait déjà en 1926 le journaliste Géo-Charles : « Reth est l’homme le plus modeste du monde et souffre, comme tant d’artistes véritables, de la publicité tapageuse faite sur de fausses valeurs. » L’oubli qui a frappé ce membre actif d’Abstraction-Création s’explique aussi par une carrière tout en déviations. « Reth expérimente sans cesse, trouve un moyen d’expression, l’abandonne, en pressent un autre, revient au premier, le développe, et ainsi, tout au long de sa vie », écrivait Colette Lambrichs dans le catalogue de la galerie Withofs (Bruxelles) en 1969. Bien que cubiste de la première heure, les têtes de pont du mouvement l’ignorèrent dans leurs rétrospectives ou essais. Inversement, ses plus ardents défenseurs comme Waldemar-George s’attardent peu sur sa période abstraite. Les expositions organisées par les galeries le Minotaure et Antoine Laurentin, à Paris, rendent justice à son esprit inventif, tout en témoignant de ses tiraillements entre abstraction et figuration.
Né en 1884 à Budapest, Reth fait ses armes dans la colonie d’artistes de Nagybánya (Hongrie) avant de s’installer en 1905 à Paris. Il s’inspire alors aussi bien de Cézanne que de l’hindouisme. Ses premières recherches cubistes commencent vers 1909. C’est une œuvre remarquable de 1911 que la galerie Antoine Laurentin propose avec la Nature morte à la carafe (180 000 euros), construite sur un système complexe de plans imbriqués les uns dans les autres. La surface y semble plus saturée que disséquée. Foin de la palette monocorde de Braque ou Picasso, le cubisme de Reth emprunte à la veine décorative de l’Europe centrale. L’angle à droite du tableau se charge ainsi d’une portée vibrante de petits points colorés.
La Première Guerre mondiale portera un premier frein à sa carrière. Interné pendant cinq ans comme citoyen d’un pays ennemi – un comble pour un artiste qui se sentira toujours français ! –, il passera les trois années suivantes à voyager avant de rentrer à Paris en 1922.
Sable, paille, ciment ou gravats
De 1920 à 1927, Reth tâtonne entre figuration et abstraction. Le Minotaure affiche ainsi un Pique-nique de 1920, très inspiré de Gauguin. Des réminiscences ornementales pointent même dans la blouse violette et ocre d’un personnage assis de dos. Les visages dépourvus de traits, effacés par un jeu de stries, témoignent toutefois d’une évolution sourde vers l’épure. Peu à peu, les faciès se muent en cercles, les verticales et horizontales s’accentuent comme dans les Bords de Seine, joueurs de cartes, de 1926. Bien que Reth n’ait pas fréquenté Amédée Ozenfant, l’empreinte du purisme y est lisible. Vers 1927, l’artiste s’inscrit fermement dans l’abstraction pour s’associer six ans plus tard au mouvement Abstraction-Création. Ses jeux de courbes et de cercles se prolongent dans les années 1930 avec ses découpages en bois, dont Laurentin présente deux superbes spécimens, Gare du Nord et Forme dans l’espace, proches des rythmes colorés de Robert Delaunay.
Mais à nouveau, la guerre plombe sa carrière. Faisant de nécessité vertu, c’est précisément dans les années 1940, quand le matériel vient à manquer, qu’il réalise ses œuvres les plus personnelles. Sable, paille, ciment ou gravats s’agrègent alors au sein de petits formats. D’autres textures insolites pointent, comme le formica jaune et le papier mâché, apparaissant dans une composition de 1942 présentée pour 28 000 euros par Le Minotaure. Ces jeux d’oppositions entre le lisse et le rugueux se peaufinent dans les Harmonies de matière, développées dans les années 1950. « Je voulais éviter de séparer la couleur de la matière, expliquait Reth. Dans tout ce que la nature offre à notre regard, ces deux éléments sont étroitement liés. Or la peinture ne permet que l’imitation des différentes matières. » Cette abstraction matiériste trouvera des résonances fortuites dans l’art informel. Ses tenants n’en rendront pas pour autant grâce à Alfred Reth.
Jusqu’au 22 décembre, Galerie Le Minotaure, 2, rue des Beaux-Arts, 75006 Paris, tél. 01 43 54 62 93, du mardi au samedi 11h-13h et 14h-19h ; Galerie Antoine Laurentin, 23, quai Voltaire, 75007 Paris, tél. 01 42 97 43 42, du lundi au vendredi 10h30-13h et 14h-19h, le samedi 14h-18h.
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Un peintre trop abstrait
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°269 du 16 novembre 2007, avec le titre suivant : Un peintre trop abstrait