La récente décision du Tribunal de grande instance (TGI) de Strasbourg, ordonnant la restitution d’une oeuvre de Klimt acquise par la Ville en 1959 (lire JdA n° 75, 22 janvier 1999), donne de façon ordonnée une lecture du droit en matière de bonne foi. Dans le droit fil de la position de la Cour de cassation récemment affirmée à propos d’une œuvre de l’ancienne collection Schloss, les attendus du jugement constituent presque un manuel de l’acheteur diligent.
STRASBOURG - Le Tribunal de grande instance devait répondre à une revendication des ayants droit d’un collectionneur autrichien qui revendiquait un Klimt acheté en 1959 par la Ville de Strasbourg. Cette dernière s’était défendue en faisant valoir l’irrecevabilité de la demande du fait des prescriptions de trente ans (prescription générale des actions en droit français) et de trois ans (prescription réduite au bénéfice du possesseur/acquéreur de bonne foi en cas de perte ou de vol), et en soulignant sa bonne foi, le tableau ayant été acquis auprès d’un artiste alsacien qui aurait lui-même tenu l’œuvre de Klimt. L’analyse des prescriptions était compliquée par une action devant le Tribunal administratif, auquel il avait été demandé sans succès de censurer le refus de restitution du tableau.
Dans ses motifs, le TGI a résumé de façon particulièrement claire le problème posé et la méthode à lui appliquer : “Il s’agit sur le fond d’examiner si lors de l’acquisition de l’œuvre litigieuse, au cours du mois de juillet 1959, la bonne foi de la Ville de Strasbourg, certes présumée, peut être combattue par les éléments du dossier. Il revient aux revendiquants de la chose réclamée de démontrer l’existence de circonstances qui auraient dû amener le possesseur à douter de la qualité du propriétaire ou du tiers avec lequel il a traité, soit en raison de la faiblesse du prix (cf. Cass. Civile du 16 juin 1971), soit du fait des invraisemblances dans le processus d’acquisition du bien (cf. Cass. Civile du 23 mars 1965). Si le possesseur est jugé de bonne foi, outre le fait que la prescription triennale de l’article 2279 du Code Civil s’applique, le revendiquant n’est plus admis à prouver son droit de propriété ; si au contraire le possesseur est jugé de mauvaise foi, le revendiquant doit prouver son droit de propriété sur le bien litigieux.”
Appliquant cette méthode à l’affaire, les juges relevaient le prix dérisoire 50 000 francs pour une œuvre qui aurait valu à l’époque 30 fois plus, l’acquisition non du détenteur, alors “indigent et placé dans un hôpital psychiatrique”, mais d’un exécuteur testamentaire ignorant la valeur du tableau, la compétence reconnue des conservateurs ayant négocié l’achat, “dont il est difficilement admissible [qu’ils] aient pu ignorer ou mal connaître Gustav Klimt”, d’autant que diverses manifestations en Europe avaient assis sa notoriété ; enfin, l’invraisemblance de l’origine de propriété acceptée sans rechigner par la Ville : le détenteur, artiste de notoriété limitée, aurait séjourné à Vienne au début du siècle, ce que n’attesterait pas sa biographie, et aurait fréquenté les milieux artistiques, ce qui lui aurait permis d’acquérir l’œuvre directement de Klimt... ce qui serait peu vraisemblable, selon les experts, du fait de l’importance particulière de l’œuvre et des prix élevés des Klimt dès cette époque... Le Tribunal déduisait de ces constatations la “mauvaise foi” de la Ville, “non pas à l’évidence au sens commun d’une malhonnêteté réalisée à titre individuel, mais au sens qu’en donne la Jurisprudence dès lors que la défenderesse ne pouvait pas en toute bonne foi ne pas s’interroger sur la qualité de légitime propriétaire [du détenteur], se contentant d’acquérir le tableau litigieux pour un prix dérisoire, sans se renseigner davantage sur l’origine et l’histoire de cette œuvre”.
Clarté des attendus
Bouclant son raisonnement, le Tribunal examinait enfin si les demandeurs apportaient bien la preuve de leur propriété sur le tableau, ce qu’il déduisait des relations prouvées entre leur grand-père collectionneur et la Sécession Viennoise, et d’une marque portée sur le tableau confirmant son transport vers la France en 1938, au milieu d’une collection par la suite saisie puis vendue aux enchères pendant la guerre.
Même si les juges d’appel ne porteront pas nécessairement la même appréciation sur les circonstances de fait du litige, la clarté des attendus du jugement en font presque un manuel à l’usage des acheteurs professionnels – publics mais aussi privés – d’œuvres d’art, et une préfiguration des diligences que les textes internationaux en vigueur en France (directive européenne de 1993, convention Unesco de 1990) ou en cours de ratification (convention de Rome de l’Unidroit) mettent ou mettront à la charge de l’acheteur.
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Un manuel de l’acheteur diligent
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°80 du 2 avril 1999, avec le titre suivant : Un manuel de l’acheteur diligent