PARIS
Un commissaire-priseur, un courtier et un vendeur ont été condamnés pour la vente d’un faux bronze numéroté de Zadkine, tandis que la Ville de Paris et le fondeur historique de l’artiste ont obtenu réparation.
Moins d’un an après la condamnation d’un marchand par la cour d’appel de Paris à propos d’une œuvre en bois contrefaisante d’Ossip Zadkine, trois autres personnes viennent d’être lourdement condamnées par le tribunal correctionnel de Paris, le 27 mai 2016, pour un faux bronze de l’artiste représentant Le retour du fils prodigue et numéroté 6/6. L’affaire débute fin juin 2004, lorsque Hubert Lacroix, dirigeant de la fonderie Susse, est sollicité pour expertiser le bronze à la demande de son nouveau propriétaire. Mais le cachet apposé sur l’œuvre contrefait visiblement la marque « Susse Fondeur » et le numéro de tirage s’avère fantaisiste, l’œuvre ayant été limitée à cinq exemplaires par l’artiste et la fonderie – seule qualifiée – n’en avait jamais réalisé plus de quatre selon ses archives. Une plainte était déposée à laquelle s’est associée ensuite la Ville de Paris, légataire universel de l’artiste.
L’intrigue devient plus délicate, lorsque la justice tente de retracer l’origine de l’œuvre et les modalités de sa vente. Le dernier propriétaire du bronze indique avoir vu passer en vente un exemplaire numéroté 5/5 à deux reprises chez le commissaire-priseur Marc-Arthur Kohn en 2001 et 2002, puis l’avoir vu dans les locaux fin 2002 et en 2004, avant qu’un courtier en lien avec le commissaire-priseur ne lui propose à l’achat pour plus de 137 000 euros. À partir de la même chronologie, le commissaire-priseur indique avoir reçu 48h avant la vente cataloguée de décembre 2001 un bronze 5/5 qu’il n’a eu le temps ni de photographier ni de reproduire dans le catalogue, mais seulement celui de vérifier la conformité de sa numérotation au sein du catalogue raisonné de l’artiste. L’œuvre trouve alors preneur en la personne de Raymond Woronko, qui la confie à nouveau au commissaire-priseur pour une vente en juin 2002 au motif que « sa femme n’aimait pas la sculpture », sans préciser que Sotheby’s France avait refusé d’accepter l’œuvre numérotée alors 6/6. La sculpture, présentée à nouveau au catalogue comme un 5/5, ne trouve pas preneur jusqu’en 2004, avant d’être saisie dans les locaux de la Fonderie Susse. L’acheteur trompé demande alors la restitution de son paiement, ce qui lui est accordé ; de même pour Raymond Woronko, qui obtient le remboursement du prix payé auprès du commissaire-priseur, ce dernier reconnaissant ne pas avoir vérifié le numéro d’exemplaire lors de son retour à son étude.
Un nombre incertain d’exemplaires
Quant à la numérotation de l’exemplaire, celle-ci fluctue selon les protagonistes. Pour certains, un exemplaire 5/5 aurait bien été cédé, avant que le 6/6 ne lui soit substitué dans des conditions inconnues. Plusieurs éléments plaidaient en faveur d’un cinquième exemplaire. Le catalogue raisonné de l’artiste fait état d’un tel numéro et celui-ci s’est retrouvé sur un bronze présenté à la Fiac, en 1997, considéré comme « de bonne facture » par la directrice d’alors du Musée Zadkine. Et les archives du musée indiquent que cinq tirages étaient autorisés. Un ancien propriétaire aurait, de même, acquis un bronze 5/5 aux Pays-Bas en 1989, avant de le proposer à Me Marc-Arthur Kohn pour la vacation de 2001. L’existence de deux potentiels exemplaires 5/5 interroge ; de même en cas d’existence d’un seul exemplaire 5/5 au regard de la chronologie des faits. Enfin les divergences entre les mentions portées au catalogue raisonné, les déclarations passées des responsables du musée et la preuve de la réalité des tirages effectués par la Fonderie Susse étonnent également.
Cependant seul le bronze 6/6 a pu être saisi et expertisé. L’enquête a révélé que le tirage contrefaisant aurait été réalisé à partir d’un plâtre obtenu par surmoulage. Ce dernier correspondant sans doute au plâtre présenté lors d’une autre vente aux enchères publiques à Paris en 2004, dont l’achat aurait été effectué aux puces de Belgrade la même année. Tant le bronze que le plâtre présentent les mêmes défauts, tels qu’une orientation différente de la main, un index plus long, etc. Mais aucune datation de la fonte n’a pu être déterminée. Le caractère contrefaisant du plâtre n’a guère été discuté au regard de ses nombreuses anomalies mises en lumière par une reconstitution en trois dimensions. De même pour la contrefaçon de la marque de la fonderie. En ces deux matières, la bonne foi des contrefacteurs constitue un élément indifférent, ce qui n’est pas le cas de l’infraction de débit de contrefaçon.
Assainir le marché de l’art
Le tribunal correctionnel a alors retenu la responsabilité tant du commissaire-priseur, que du courtier et du vendeur. Me Marc-Arthur Kohn a ainsi été condamné à huit mois d’emprisonnement avec sursis et 5 000 euros d’amende, faute de ne pas avoir contacté le musée ni joint la fonderie avant les différentes ventes d’une œuvre d’un « sculpteur décédé et prestigieux » et pour s’être rendu coupable de contrefaçon artistique, de contrefaçon de marque et de débit de contrefaçon. Le courtier est condamné à huit mois d’emprisonnement et le vendeur à 10 000 euros d’amende pour avoir donné son accord pour que la statue soit vendue « en toute connaissance de cause ». Les trois mis en cause ont fait appel de la décision. Me Jean-Loup Nitot, conseil du commissaire-priseur, souligne que la légèreté dont aurait pu faire preuve son client en 2002 et 2004, en ne vérifiant pas systématiquement la numérotation de l’objet, « constitue une faute civile et non pénale, en l’absence d’une quelconque mauvaise foi ». L’acquéreur ayant lui-même vu l’objet numéroté 5/5. Il s’étonne, par ailleurs, que le premier propriétaire n’ait jamais été entendu par le juge d’instruction, ce qui s’imposait pour déterminer la numérotation du tirage vendu en 2001 et préciser les responsabilités éventuelles.
Me Béatrice Cohen, conseil du dernier acquéreur, indemnisé à hauteur de 6 000 euros, fait part de sa satisfaction en énonçant qu’il « est indispensable dans ces affaires de contrefaçon d’œuvres d’art que ces professionnels du marché de l’art, commissaire-priseur ou marchand d’art, soient lourdement condamnés afin d’assainir le marché de l’art qui pâtit de ces pratiques intolérables, mais également de rassurer et de faire savoir aux collectionneurs, réticents à acheter, qu’ils sont protégés ».
Quant aux parties civiles, la Fonderie Susse a obtenu l’euro de dommages-intérêts souhaité, ainsi que la publication à venir du jugement. Selon Hubert Lacroix, « une telle affaire est très préjudiciable aux fondeurs. Nous voulons également faire savoir que le fondeur détenteur d’une marque contrefaite se révèle un partenaire efficace de l’ayant droit quand il s’agit de poursuivre les contrefaçons de bronzes ». Mises à disposition des juridictions, les connaissances techniques du fondeur et le contenu de ses archives constituent souvent des éléments de preuve essentiels permettant de résoudre de telles affaires. La Ville de Paris demandait réparation du fait de l’atteinte au respect dû à l’œuvre constituée par la présentation d’un tel bronze contrefaisant et a obtenu sur ce fondement 40 000 euros de préjudice moral. En revanche, le soi-disant « bénéfice perdu » réparé à hauteur de 130 000 euros étonne fortement, la somme devant être versée par les trois mis en cause. Tant le quantum que les termes de « bénéfice perdu » ne semblent pas adéquats.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Un faux Zadkine devant la justice
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°460 du 24 juin 2016, avec le titre suivant : Un faux Zadkine devant la justice