Grande figure du monde des enchères, François Curiel, cinquante-deux ans, a bâti toute sa carrière dans une même société, Christie’s, dont il a gravi tous les échelons en un temps record. Directeur général adjoint de Christie’s international, président de Christie’s Europe et président du directoire de son antenne française, il est aujourd’hui l’une des trois ou quatre personnes les plus influentes de la maison de vente rachetée par François Pinault en 1998.
PARIS - Si François Curiel n’avait pas dirigé une maison de vente, gageons qu’il ne lui aurait pas déplu de devenir chef d’orchestre. Il suffit de le voir baguette – pardon marteau – à la main devant une salle bondée pour prendre conscience de ses talents de meneur et d’animateur. Il sait donner le “tempo” à une vente et mobiliser le public en faisant monter crescendo la tension. Psychologue d’instinct, il sait aussi saisir l’atmosphère d’une salle, charmer ses interlocuteurs et insuffler l’enthousiasme à ses équipes. “Ses troupes sont béates d’admiration devant lui, note Joël Rosenthal, joaillier place Vendôme. Il sait les convaincre et tirer le meilleur de chacun.”
Entré en 1969 chez Christie’s, il a atteint en quelques années les plus hautes sphères de la société. Directeur du bureau de Madrid de 1972 à 1974, il devient en 1977 directeur général de Christie’s États-Unis. Puis, il est nommé en 1988 directeur général de Christie’s Europe et un an plus tard, directeur général adjoint de la société à l’échelle mondiale. Additionnant les titres, il est propulsé en 1999 président de Christie’s Europe et, en mai 2001, président du directoire de Christie’s France tout en continuant de diriger le département des bijoux à l’échelle internationale.
Comment trouve-t-il le temps de faire tout cela ? “Si vous vous voulez qu’une tâche soit menée à bien, confiez-la à une personne très occupée”, confie François Curiel citant un manuel de management. Il est vrai que l’homme semble conjuguer ses multiples casquettes avec sérénité et une réelle disponibilité à l’égard de ses clients comme de ses collaborateurs. Il saute d’avion en avion de Paris à Hongkong en passant par New York, Genève ou Amsterdam et jongle avec les fuseaux horaires et le calendrier des jours ouvrés. Quand le Tout-Paris est aux abonnés absents pour la Pentecôte ou l’Ascension, il s’envole pour Londres ou Zurich.
Money maker
“C’est une sorte de Lucky Luke. Il tire plus vite que son ombre, s’amuse Prosper Assouline, éditeur et ami de l’auctioneer. Si vous lui laissez un message sur son portable, il vous rappelle dans les minutes qui suivent, qu’il soit à Tokyo ou à New York.” On a rarement vu un homme s’identifier autant à une société. “Christie’s, c’est ma vie”, clame-t-il. La rencontre avec l’élue de son cœur, c’est à l’âge de dix-huit ans qu’il l’a faite en venant effectuer à Londres un stage dans les locaux de l’auctioneer. Chef d’orchestre, il est aussi un redoutable stratège et un “money maker”.
Sous sa houlette, le département bijoux de Christie’s a connu une irrésistible progression. La première vente de bijoux qui s’est tenue à New York sous sa direction, en mai 1977, a généré un million de dollars de chiffre d’affaires. Vingt-trois ans plus tard, une vacation qu’il a organisée à Genève au mois de mai dernier s’est soldée par un produit total de 22 millions de dollars. Sa passion pour les bijoux n’est pas récente. C’est son père, Maurice, négociant en joaillerie qui lui a probablement inoculé le virus. Il approfondit ses connaissances chez Christie’s à Londres où il a occupé les fonctions d’expert en bijoux de 1969 à 1972 puis à l’Institut de gemmologie. Il éprouve visiblement un réel plaisir à sonder une gemme et à jauger la valeur d’un diamant. “Il aime vraiment les bijoux. Il a un sens inné de l’objet, sait séparer le grain de l’ivraie et déceler la valeur d’une pièce”, analyse Philippe Serret, expert à Paris.
C’est en 1976 que lui a été offerte la responsabilité de créer de toutes pièces un département bijoux à New York. “Je suis parti à la recherche des collectionneurs pour les persuader de nous confier leurs pièces. Il fallait que j’aille à leur rencontre à Los Angeles ou Miami, se souvient François Curiel. Christie’s était alors peu connu. J’ai dû réaliser un travail d’explication et de persuasion.” De 20 personnes en 1976, les effectifs du bureau de New York sont passés à 100 en 1978 et à 450 en 1989. Le département joaillerie réalise aujourd’hui environ 10 à 15 % du chiffre d’affaires de Christie’s international (contre 25 à 30 % pour les tableaux modernes et impressionnistes) soit 230 millions de dollars.
Pour sortir la spécialité de l’ombre dans laquelle elle se trouvait, il a eu recours aux techniques du marketing et à quelques idées neuves. Il a fait de ses catalogues, enrichis d’une importante iconographie et de notices détaillées, des ouvrages de référence. Pour séduire la jet-set, il décide de la suivre dans ses migrations saisonnières, à Saint-Moritz ou Aspen, en passant par Palm Beach ou New York. Dans toutes ces villes, il organise des expositions itinérantes à l’attention de ses riches clients désœuvrés et détendus, donc plus prompts à se laisser séduire.
Il crée l’événement en transformant ses ventes en véritables spectacles avec dîner de gala et tenue de soirée obligatoire.
“J’adore mon métier, confie-t-il. C’est en fait une passion plus qu’un métier. Je me lève le matin heureux de partir au bureau et d’affronter de nouveaux challenges.” Non content de passer l’essentiel de sa vie au milieu des trésors que lui confient les vendeurs, François Curiel occupe le peu de temps qu’il lui reste à réunir des œuvres d’art, des tableaux anciens du XVIIIe siècle, des écoles espagnoles et italiennes, mais aussi des marteaux de commissaires-priseurs et auctioneers dont il possède 85 exemplaires en ivoire, en bois ou en acier.
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Un chef d’orchestre pour Christie’s
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°132 du 14 septembre 2001, avec le titre suivant : Un chef d’orchestre pour Christie’s