Justice

Un artiste condamné pour ses tableaux « érotiques » de Tintin

Par Pierre Noual (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 3 juillet 2024 - 924 mots

Infirmant l’exception de parodie, la cour d’appel de Rennes condamne l’artiste Xavier Marabout pour la reprise de l’univers d’Hergé dans ses toiles peintes à la manière d’Edward Hopper.

Rennes (Ille-et-Vilaine). « Tintin au pays des pin-up ». Il ne s’agit pas d’une nouvelle histoire du reporter à la houppette mais du titre d’une nouvelle affaire judiciaire relative à la délicate appréhension de l’« exception de parodie » pour les artistes. Par principe, la parodie constitue une exception au droit d’auteur pour laquelle l’artiste parodié ne peut s’y opposer lorsqu’elle respecte les « lois du genre », et sous réserve qu’elle n’ait pas pour but de nuire à autrui mais de poursuivre une « intention humoristique », sans risque de confusion avec l’œuvre préexistante. Pour autant, la démonstration de la parodie n’est pas toujours aisée et l’artiste Xavier Marabout vient bien malgré lui d’en subir les conséquences.

Dès 2012, le peintre s’est intéressé à l’œuvre d’Hergé et a notamment réalisé des toiles pour interroger la vie sentimentale de Tintin dans des mises en scène inspirées de l’univers du peintre américain Edward Hopper (1882-1967). Toutefois, ces tableaux à connotation « érotique » ont déplu à la société Tintinimaginatio (ex-Moulinsart) qui gère l’exploitation commerciale de l’œuvre d’Hergé. En l’absence de résolution amiable, la société a alors assigné Xavier Marabout en contrefaçon et en concurrence déloyale et parasitaire. Pourtant, en mai 2021, le tribunal judiciaire de Rennes a suivi le raisonnement de Xavier Marabout qui faisait valoir le caractère humoristique de ses tableaux. Il est vrai que la parodie se compose d’un élément matériel – permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée et se distinguer de l’œuvre originale sans créer un risque de confusion ou conduire à s’approprier le travail d’autrui – et d’élément intentionnel : faire rire ou sourire sans porter atteinte au respect de l’œuvre, à l’honneur ou à la réputation de l’auteur parodié. Aussi, les juges avaient reconnu l’exception de parodie au motif que « l’effet humoristique est constitué par l’incongruité de la situation au regard de la sobriété sinon la tristesse habituelle des œuvres de Hopper et de l’absence de présence féminine au côté de Tintin […] cet effet invite le spectateur à imaginer une suite qui provoque le sourire ». Tintinimaginatio était donc renvoyée à une lecture du code de la propriété intellectuelle et a cependant fait appel.

L’exigence d’une « intention humoristique évidente »
Rejugeant l’affaire, la cour d’appel de Rennes (4 juin 2024) a condamné Xavier Marabout. Pour cette dernière, « la parodie doit être appréciée de façon restrictive » et « exige une intention humoristique évidente, de préférence comportant une certaine intensité : si sourire suffit, en revanche, la simple recherche d’une complicité amusée avec le lecteur ou le spectateur ne suffit pas, ni un simple clin d’œil en direction du public ou un choc visuel ». Or, pour les juges rennais, « le seul fait, pour [Xavier Marabout], d’introduire dans ses œuvres, d’ailleurs sans outrance, des éléments puissants de sensualité (femmes callipyges, présence d’un sex-shop) ou disruptifs (tatouage de Tintin, Dupond qui fume, Tintin qui fume, dépressif, anxieux, fragilisé, lecteur d’un magazine gay ou encore qui boit une bière) ne peut être considéré comme procédant d’une intention humoristique ». En somme, si les tableaux litigieux « peuvent donner lieu à sourire (plus qu’à rire, au demeurant) ou introduire une complicité amusée avec le spectateur […] [cela] ne signifie pas pour autant que l’intimé ait cherché à provoquer dans un esprit de raillerie, fût-ce seulement de gentille moquerie ». Ainsi débouté, l’artiste est condamné à une provision de 15 000 euros à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices et à la somme de 5 000 euros pour avoir parasité le travail d’Hergé.

Cette motivation sévère, à rebours de la jurisprudence européenne, peut surprendre puisqu’en 2019 la Cour de cassation avait pu confirmer l’exception de parodie concernant la couverture du magazine Le Point – qui reproduisait la sculpture du buste de Marianne réalisée par l’artiste Alain Aslan – car bien que cette dernière ne fût pas humoristique, représenter un emblème de la République française, « immergé tel un naufragé, constitue une illustration humoristique, indépendamment des propos eux-mêmes et de leur sérieux ». Par transposition, c’est bien de l’association fortuite de l’univers d’Hergé avec des situations absurdes ou burlesques que naîtrait la parodie. Au-delà, l’arrêt n’est pas sans questionner : comment admettre une contrefaçon des droits patrimoniaux mais rejeter dans le même temps celle des droits moraux ? Cette contradiction juridique méritait donc un éclaircissement de la part de la Cour de cassation, Xavier Marabout se réservant d’ailleurs la possibilité de se pourvoir en cassation.

La parodie comme fonds de commerce ? 
Les artistes doivent-ils s’inquiéter de la portée de cet arrêt ? Il faut garder à l’esprit que l’invocation de l’exception de parodie ou de la liberté de création ne doit pas avoir pour effet de vider de son sens la protection du droit d’auteur. Tout demeure donc affaire d’espèce et du respect des « lois du genre » afin de ne pas abuser d’une exception qui procède, avant tout, de la liberté d’expression. En d’autres termes, la parodie ne doit pas permettre de s’arroger indûment un droit d’adaptation qui porterait atteinte au droit d’auteur afin de s’attribuer le bénéfice de la notoriété et vivre du rayonnement d’œuvres préexistantes. Or, pour les juges rennais, c’est peut-être ici que le bât blessait au regard de la démarche commerciale « à grande échelle » de l’artiste qui, en ayant réalisé 39 tableaux, ne répondrait pas aux usages des « lois du genre », par essence ponctuels et limités. Mais ces « lois du genre » n’étant pas définies par les textes nationaux et européens, cet ajout de la cour d’appel pourrait être retoqué par les juges de la Cour de cassation. Tintin a remporté une bataille mais pas la guerre contre la parodie.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°637 du 5 juillet 2024, avec le titre suivant : Un artiste condamné pour ses tableaux « érotiques » de Tintin

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