On attendait beaucoup de modestie et d’humilité en cette année de crise, des mea culpa la main sur le cœur comme les Américains savent si bien le faire.
Mais l’hybris n’a pas dit son dernier mot. Tout simplement parce qu’il est difficile, pour les faiseurs du marché, de se remettre en question. Dans une récente chronique parue dans Le Monde, le journaliste Frédéric Lemaître citait un extrait de la Brève Histoire de l’euphorie financière de l’économiste John Galbraith : « Dans les attitudes libérales, il y a une forte tendance à croire que plus un individu possède ou gère d’argent, plus profonde et magistrale est sa vision des phénomènes économiques et sociaux, et plus subtils et pénétrants sont ses processus mentaux. » Quand on prend l’habitude de penser que les mégacollectionneurs sont des gourous, qu’ils sont les plus grands, les plus forts, qu’on s’extasie devant la moindre de leurs expositions, même lorsqu’elles sont truffées de faiblesses, il est difficile de faire machine arrière. Or, les grands argentiers ne sont pas forcément les meilleurs prescripteurs. Ainsi un magnat de l’imprimerie comme Peter Brant a-t-il toujours été sûr de son fait et des sommes qu’il était prêt à dépenser. Son pouvoir de persuasion était tel qu’il réussissait même à convaincre d’autres collectionneurs de débourser des sommes pharaoniques. En bon mâle dominant, il avait des Koons, la top modèle Stéphanie Seymour (depuis ils sont en pleine procédure de divorce) et sa fondation dans le Connecticut…
Rien n’a changé depuis la crise
Mais le flair a ses limites, surtout quand l’orgueil prend le dessus. Le 10 novembre, Brant a proposé chez Christie’s un Basquiat, Brother Sausage, pour 9 millions de dollars. Invendu. Tout autant que Tunafish Disaster de Warhol, estimé pour 6 millions de dollars. L’homme d’affaires avait lessivé l’an dernier les maisons de ventes en obtenant des garanties déroutantes. Cette année, le robinet des garanties était clos. Mais il n’a pas baissé les estimations pour autant. Trop sûr de lui. Un travers commun au milieu de l’art. Comme le souligne la journaliste Sarah Thornton dans son livre Sept Jours dans le monde de l’art, « le monde de l’art contemporain est ce que Tom Wolfe appelle une "statusphere", une sphère de statut. » Or, la crainte qui anime ces acteurs, c’est bien de le perdre, ce statut. « À Venise, on juge du statut d’un artiste d’après le nombre d’invitations qu’il reçoit », indique l’artiste John Baldessari dans le livre de Thornton. Le prestige d’une galerie se détermine à son emplacement dans les foires. Au cours des ventes new-yorkaises, il est également lié au positionnement, cette fois, des spectateurs. La plèbe se tient debout au fond, tandis que les gros collectionneurs occupent les premiers rangs, comme au théâtre. Rien n’a changé sur ce point depuis la crise. Pas plus que le goût prononcé du milieu pour la flagornerie. On pouvait s’étonner, en mars dernier, devant les soupirs d’aise que poussaient certains acteurs du marché au terme de la visite VIP de la collection de Michael et Susan Horst, à New York. Ces collectionneurs ont pour mérite d’acheter de l’art sans posséder une fortune colossale, et de suivre leurs propres goûts, souvent étranges. Est-il nécessaire pour autant de jouer les M. Loyal, de donner du grain à moudre à l’ego ?
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Trop sûr de lui
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°315 du 11 décembre 2009, avec le titre suivant : Trop sûr de lui