Restés longtemps affaire de brocanteurs et trocs de chineurs, les vieux jouets font à présent l’objet d’un commerce mondial organisé aux prix très soutenus. Évocateurs de rêves d’enfants, ils s’adressent à un public adulte de collectionneurs avertis.
PARIS - En France, les premières ventes publiques généralistes autour du jouet ont eu lieu au début des années 1970 à Chartres sous la houlette de Me Jean-Pierre Lelièvre. Dans les années 1980, ce marché a pris tout son essor avant de connaître entre 1989 et 1991 la flambée des valeurs artistiques. “Depuis les années 1990, le marché est resté très actif mais les prix évoluent normalement”, constate Me Jean-Pierre Lelièvre. Aujourd’hui, Chartres est devenue la capitale française du jouet avec pas moins de quinze ventes annuelles spécialisées autour de différentes poupées, des chemins de fer, des automates, ours en peluche et des petites voitures. À Paris, l’expert François Theimer organise quatre vacations par an. Christie’s et Sotheby’s, à Londres, absorbent une grande partie du marché. Pour chaque catégorie de jouets, les collectionneurs se tournent essentiellement vers les pièces historiques. La seconde partie du XIXe siècle correspond à l’âge d’or du jouet qui devient accessible au plus grand nombre. Les jouets sont caractérisés, sous Napoléon III, par une explosion du luxe et de l’élégance pour la poupée, par la notion de progrès avec les trains miniatures et les automates.
Nostalgie des poupées et des ours
Pour le marché des poupées, les fabrications françaises sont à l’honneur. Les bouilles idéalisées du XIXe siècle en biscuit de porcelaine signées Bru, Thuillier, Jumeau ou Steiner se vendent entre 10 000 et 1 million de francs. Une Créole faite par Jumeau, adjugée 850 000 francs le 26 mars à Paris dans le cadre du 4e Congrès mondial des collectionneurs de poupées (4eCMCP), demeure le record français. Les poupées-sculptures réalistes aux airs un peu effrontés réalisées par Albert Marque, au début du XXe siècle, obtiennent les plus hauts prix, entre 700 000 et 1,2 million de francs, du fait de leur rareté. Il existe une cinquantaine de modèles numérotés dans le monde. La poupée Bleuette, un petit mannequin de 27 cm, qui fut offerte aux abonnées de l’hebdomadaire La Semaine de Suzette entre 1905 et 1950, est recherchée pour quelques milliers de francs par les nostalgiques de l’époque qui cherchent à compléter sa garde-robe. Environ 600 modèles de vêtements ont été créés pour elle, et pour une robe peu commune, les acheteurs sont prêts à débourser 8 000 francs. Plus récente, la Barbie lancée en 1959 est déjà très prisée. “Au début des années 1980, une Barbie ancienne valait 100 francs, remarque l’expert François Theimer. Elle est montée jusqu’à 10 000 francs dans les années 1990. Aujourd’hui, il faut compter 40 000 francs pour un premier modèle.” Les acheteurs se disputent également les différents costumes élaborés pour la poupée mannequin. Un trousseau complet se négocie entre 200 et 5 000 francs voire plus. “Dans le domaine de l’affectif, il n’a pas de limite, souligne François Theimer. Et le marché du jouet est sans doute le secteur le plus passionné”, notamment avec les ours de collection. Une marque domine toutes les autres, l’Allemand Steiff dont les premières créations de Teddy Bears remontent à 1902-1903. L’Allemand Bing, l’Américain Ideal National Toy Company, le Français Pintel et les Anglais JK Farnell, Chad Valley, Deans et Merry Thought lui emboitent le pas. Ce sont ces fabrications anciennes que s’arrachent les plus gros amateurs de la planète qui sont d’abord anglo-saxons, puis japonais. En fonction de sa rareté, de son ancienneté, de son état de conservation, de la couleur de son pelage et même de la tendresse de ses yeux, de sa mine coquine ou de son attitude bravache, un plantigrade cote de 10 000 à 500 000 francs. Un ursidéphile a même poussé l’enchère jusqu’à 110 000 livres sterling (environ 930 000 francs) le 5 décembre 1994 chez Christie’s à Londres pour une “Teddy Girl” historique de Steiff, l’actuel record mondial. La folie pour les plantigrades pousse les collectionneurs à poursuivre leurs achats vers les créations contemporaines. Il existe aujourd’hui des “artistes en ours” qui vendent leurs pièces uniques ou en petites séries jusqu’à 15 000 francs pièce. “C’est un panier de crabes, lance François Theimer. Pour les ours récents, on ne peut parler que de cote d’amour.” Pour les valeurs sûres, les collections s’arrêtent aux années 1950 pour les marques sus-citées.
Les automates font partie des ventes de jouets bien qu’ils n’en soient pas vraiment. Pour ces pièces de fabrication française, le marché est extrêmement restreint. On compte une vingtaine de vrais collectionneurs au monde, plus des musées. L’automate possède au moins quatre mouvements ce qui le distingue du jouet animé. Les plus complexes ont jusqu’à quinze mouvements. Au XIXe siècle, les petits qui mesurent environ 50 cm, ont été produits à quelques dizaines d’exemplaires. Ils valent aujourd’hui en moyenne entre 20 000 et 50 000 francs. Les grands modèles d’un mètre aux nombreux mécanismes coûtent parfois plus de 300 000 francs selon leur rareté. Parmi les signatures prestigieuses, citons Théroude, créateur de pièces spectaculaires de personnages ou d’animaux, et ses suiveurs, Gustave Vichy, Jean Roullet, Léopold de Lambert et la maison Descamps. À la fin du XIXe siècle, Blaise et Lucien Bontemps réalisent des cages d’oiseaux chanteurs qui valent entre 15 000 et 50 000 francs pour les plus courantes. Le record français revient à “Bob et sa grenouille”, un automate à musique créé par Vichy qui a été emporté 810 000 francs le 26 mars 1994 à Paris.
Ça roule pour les jouets de garçon
Les petits trains et petites voitures constituent le marché le plus vaste et le plus complexe. Les Allemands restant les rois des jouets en métal, leurs marques sont les plus recherchées dans les collections de chemins de fer, Märklin en tête, puis Bing et Carette pour la période d’avant-guerre. Le Français JEP et l’Anglais Hornby viennent rejoindre les marques germaniques dans l’entre-deux-guerres. Après 1945, une nouvelle échelle HO, plus réduite que les précédentes, fait la fortune de Märklin, Fleischmann et du Français Jouef. ”Mais la grande majorité des collectionneurs se focalise autour de Märklin”, regrette François Theimer. Pour 100 francs, un acheteur emporte un wagon des années 1950, à partir de 500 francs une locomotive dans sa boîte d’origine. “Dès qu’il passe en vente des séries inédites et rares, le marché s’enflamme”, précise Me Jean-Pierre Lelièvre. Ainsi dans la vente du 11 novembre, deux wagons impériaux Märklin estimés autour de 20 000 francs se sont envolés à 130 000 francs chacun. Pour les voitures miniaturisées au 1/43e, la marque Dinky Toys rafle toutes les parts de marché. Il faut compter de 400 à 2 000 francs pour un modèle classique et de 8 000 à 40 000 francs pour des voitures aux couleurs peu banales. Dans leur chasse à l’objet rare, les collectionneurs n’hésitent pas à se battre au-delà du raisonnable. C’est parfois une question d’honneur. Le 1er décembre, un particulier est monté jusqu’à 18 000 francs pour une petite moto mécanique allemande datant de 1920 et conduite par un personnage avec un passager. Pourtant, le lot abîmé était estimé 800 francs. Enfin, pour de nombreux autres jouets de garçon et les jeux de société dont on parle rarement, le marché est souvent sous-coté. Selon le commissaire-priseur, “les jeux qui ne s’exposent pas en vitrine intéressent moins les particuliers”. Mais, ils font le bonheur des marchands. Un jouet d’optique récemment adjugé 80 000 francs à un antiquaire en salle des ventes a été révisé 170 000 francs par des confrères.
Maisons de ventes
- Galerie de Chartres, 7 rue Collin d’Harleville, 28000 Chartres,
tél. 02 37 88 28 28
- Étude Lombrail & Teucquam,
21 avenue de Balzac, 94210 La Varenne-St-Hilaire, tél. 01 43 97 91 29
- Christie’s, 9 avenue Matignon,
75008 Paris, tél. 01 40 76 85 85
- Sotheby’s, 76 rue du faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris, tél. 01 53 05 53 05
Experts
- Me Jean-Pierre Lelièvre, 10 rue Claude Bernard, ZA du Coudray,
BP 70129 Chartres cedex,
tél. 02 37 88 28 28
- François Theimer, 4 rue des Cavaliers, 89130 Toucy, tél. 03 86 74 31 76
www.theimer.com
- Christian Bailly, 1 rue du Dahomey,
75011 Paris, tél. 01 43 71 96 79
Antiquaires
- Robert Capia, 24-26 galerie
Verot-Dodat, 75001 Paris,
tél. 01 42 36 25 94
- Jean-Claude Cazenave,
16 rue de la Grange-Batelière,
75009 Paris, tél. 01 45 23 19 42
Livres
- L’Argus des Poupées & Jouets, éd. Valentines Dorotheum, 2001, 49 euros,
ISBN 8-88-809308-7.
- Christian Bailly, Sharon Bailly, L’Âge d’or des automates, 1848-1914, 360 p.,
éd. Scala, 1987, 138,73 euros, ISBN
2-86-656043-4.
- François Theimer, Répertoire des marques et cotes des poupées françaises, 300 p., éd. Polichinelle, 2000, 22,87 euros ISBN 2-91-085812-X.
Ventes à venir
- 20 janvier, Chemin de fer écartement HO, galerie de Chartres
- 26 janvier, Poupées, jouets, jeux et automates, étude Lombrail & Teucquam
- 2-3 février, Poupées, galerie de Chartres
- 9-10 mars, Poupées, galerie de Chartres
- 23 mars, Poupées, jouets, jeux et automates, étude Lombrail & Teucquam
- Courant mai, Automates et musiques mécaniques, galerie de Chartres.
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Très chers jouets d’antan
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°139 du 21 décembre 2001, avec le titre suivant : Très chers jouets d’antan