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ART CONTEMPORAIN

Suzanne Tarasieve : un modèle de succession de galeriste

Par Amélie Adamo · Le Journal des Arts

Le 13 mai 2024 - 818 mots

Se sachant condamnée, la fondatrice de la galerie du même nom a légué son fonds de commerce et son stock d’œuvres à ses quatre collaborateurs, qui poursuivent aujourd’hui l’aventure.

Alice Vaganay, Julien Bouharis, Veovansy Veopraseut et Lucas Marseille autour d'un portrait de Suzanne Tarasieve réalisé par Juergen Teller. © Rebecca Fanuele
Alice Vaganay, Julien Bouharis, Veovansy Veopraseut et Lucas Marseille autour d'un portrait de Suzanne Tarasieve réalisé par Juergen Teller.
© Rebecca Fanuele

Paris. Le 27 décembre 2022, Suzanne Tarasieve disparaissait à l’âge de 73 ans. Cette figure marquante du monde de l’art, aussi passionnée que généreuse, a laissé derrière elle bien vivante la mémoire de son amour de l’art et des artistes en décidant de léguer sa galerie à ses quatre collaborateurs : Julien Bouharis, Alice Vaganay, Veovansy Veopraseut, Lucas Marseille, codirecteurs à présent de l’espace de la rue Pastourelle, sont chargés de faire vivre l’âme de cette galerie parisienne installée dans le Marais depuis 2011.

Faite en conscience, cette succession a été orchestrée par Suzanne Tarasieve elle-même, l’année précédant son décès. « Le sujet avait déjà été abordé avant qu’elle ne tombe malade, explique Alice Vaganay. Suzanne était très sûre d’elle et voulait que la galerie lui survive, ça la désolait toujours quand une galerie fermait à la suite d’un décès ; elle disait avoir trouvé en nous quatre sa meilleure équipe, soudée par une grande cohésion. » Ainsi, précise Lucas Marseille, avant même que ne se révèle sa maladie, « Suzanne nous avait vendu des parts de sa société afin de faciliter une future transmission, suivant les conseils d’avocats, de notaires et de comptables ». Et puis au mois de mai 2022, après l’annonce de son cancer, les choses sont allées très vite : la galeriste décide de léguer par testament, devant deux notaires, son fonds de commerce et stock d’œuvres, en quatre parts égales réparties entre ses collaborateurs.

Dans ce testament, aucune directive donnée par Suzanne Tarasieve. Si ce n’est que le nom de la galerie reste le même. Ainsi, remarque Alice Vaganay : « C’était pour nous une évidence que nous garderions la ligne [artistique] qui constitue l’identité de la galerie, sans que cela ne soit stipulé par écrit. C’est une galerie qui marche et nous l’aimons telle qu’elle est. » C’était important pour les quatre collaborateurs, précise Julien Bouharis, de garder « l’esprit de Suzanne, comme ses fameux dîners, mais aussi une relation simple et spontanée avec les artistes, les collectionneurs ou le public ». Cette équipe, explique-t-il, marche sans « hiérarchie », « nous gérons ensemble toutes les missions ; diriger à quatre, même si certains nous ont dit que cela serait difficile, c’est en fait notre plus grande force : cela allège le stress et répartit les responsabilités, de l’organisation d’un dîner aux choix concernant la représentation d’un artiste ».

Faire vivre l’âme du stock

Depuis le départ de Suzanne Tarasieve, la nouvelle équipe s’attache donc à faire vivre l’âme de ce stock d’œuvres très riche. Près de quarante-cinq années de vie de galeriste ! Environ 400 œuvres, dont les prix vont de 500 euros à 200 000 euros. Avec pour ligne de force, un goût pour l’image et l’émotion. Parmi les artistes historiques, des peintres fameux : des figures historiques du néo-expressionnisme allemand (Markus Lüpertz, Georg Baselitz, A. R. Penck, Jörg Immendorff, Sigmar Polke) comme de plus jeunes artistes (Romain Bernini, Youcef Korichi entre autres). Mais aussi des photographes de renom : Boris Mikhaïlov ou Juergen Teller. Les artistes sont restés dans la galerie depuis le décès de sa fondatrice, hormis Antoine Roegiers, appelé par la galerie Templon. Et une seule nouvelle artiste est entrée dans le catalogue : Mari Katayama, avec laquelle Suzanne Tarasieve avait amorcé un lien. Autant de créateurs que la nouvelle équipe a choisi d’accompagner sur la durée, en « renforçant la relation » et en « respectant les évolutions » de chacun, même si certaines propositions peuvent être parfois « plus difficiles commercialement ». Dans le respect de l’identité historique de la galerie, la nouvelle équipe a pris ses marques, en s’appuyant sur le plan juridique, administratif et fiscal sur un avocat – car « nous n’avons pas l’expérience de Suzanne », souligne Veovansy Veopraseut.

Jeunes collectionneurs et jeunes artistes

Les collectionneurs sont-ils restés fidèles ? Cela semble être le cas, ce qui n’empêche pas les quatre directeurs de développer un réseau de nouveaux collectionneurs, dont certains sont très jeunes (avec un pouvoir d’achat ne dépassant pas 10 000 euros). Ils ont aussi créé un nouveau format d’exposition : la « project room ». Cet espace situé à l’étage permet d’imaginer des dialogues avec les œuvres exposées au rez-de-chaussée, en invitant des artistes qui ne sont pas représentés par la galerie, ou de donner une visibilité à de jeunes artistes qui n’ont pas encore de galerie.

Côté foires, lesquelles représentent 30 % du chiffre d’affaires de la galerie, le bilan est positif, assure Alice Vaganay : « Art Paris fut un grand succès commercial avec beaucoup de ventes à de nouveaux collectionneurs ; à Drawing Now, le focus sur Romain Bernini a aussi été un succès, avec entre autres deux grands dessins vendus à 15 000 euros pièce. » Et dans l’ensemble, « la galerie note un plus grand nombre de factures [établies] en 2023 qu’en 2022, avec une augmentation des ventes de 15 % ».

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°633 du 10 mai 2024, avec le titre suivant : Suzanne Tarasieve : un modèle de succession de galeriste

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