Le photographe allemand, connu pour ses portraits de célébrités mais aussi pour les clichés où il se met en scène, se livre sans fard alors qu’une exposition lui est consacrée au Grand Palais éphémère.
Rares sont les photographes qui ont droit de leur vivant à une exposition organisée par la Réunion des musées nationaux-Grand Palais. Jusqu’au 9 janvier 2024, Juergen Teller présente trente-cinq ans de carrière au Grand Palais éphémère avec la complicité de l’Allemand Thomas Weski, écrivain et commissaire d’exposition. À près de 60 ans, il n’entend toutefois pas dresser une rétrospective de son travail, mais faire connaître ce qui le meut depuis ses débuts. Pochettes de disques, photos de mode, portraits de célébrités dénudées ou non, autoportraits, compositions, séries liées à sa vie… : la photographie obéit à chaque fois au même style brut et souvent facétieux. Pour la scénographie, Juergen Teller a fait appel à l’agence britannique 6a Architects, qui a conçu son studio à Londres où il vit. Le Journal des Arts l’a rencontré à Paris avec Dovile Drizyte, son épouse.
L’exposition commence par quatre photographies de grand format. La première a été prise par mon père quand j’étais bébé. Elle ressemble à une photo que j’aurais pu prendre. La deuxième est une reproduction d’un article de journal relatif au suicide de mon père. La troisième représente ma mère la tête dans la mâchoire d’un crocodile regardant l’appareil photo, et la quatrième est un autoportrait nu devant la tombe de mon père, un ballon de foot au pied, une bière à la main et une cigarette dans l’autre. Lorsqu’un membre de votre famille se suicide, cela laisse une marque profonde. J’ai choisi d’être positif. D’où cette envie, ce besoin de vivre. Je suis très curieux de la vie et je veux continuer à travailler, à vivre, pour mes enfants et pour Dovile.
Qu’est-ce qui pourrait être plus intéressant que l’autofiction ? Cette exposition est une grande opportunité de donner les clefs de ce qu’il y a dans ma tête. Le suicide de mon père a eu un lourd impact sur ma vie. Cet autoportrait de moi nu sur sa tombe, je l’ai fait quelques années après sa mort, par désir de le faire. J’ai eu une relation difficile avec mon père alors que j’ai toujours été très proche de ma mère, qui était très douée pour le sport. Mon père était tout le contraire : il buvait, fumait beaucoup, chantait dans une chorale et jouait de cinq instruments. Il ne me parlait jamais. Quand il nous voyait, avec ma mère, regarder un match de foot à la télé, il trouvait cela stupide. Enfant, adolescent, et après son suicide, je l’ai détesté. Les choses par la suite ont changé lentement. J’ai découvert qu’il avait été un photographe amateur enthousiaste. J’ai l’impression qu’il y a quelque chose de lui en moi. Cette photographie sur sa tombe a été une manière de me sentir plus proche de lui.
Des personnes comme Karl Ove Knausgård, Steve McQueen [artiste et réalisateur britannique], Björk…, les liens que je peux entretenir avec elles sont importantes pour moi comme l’a été Kurt Cobain.
Si tu veux prendre une bonne photo, il faut qu’il y ait du contenu. Et il doit y avoir une raison pour laquelle tu la réalises. Ensuite il y a l’esthétique. Pour être un photographe, tu dois sentir, ressentir la personne que tu photographies.
Oui. C’est très facile de me cataloguer comme tel et très frustrant.
Il est très important. Je ne vais pas traîner pour faire des photos ni tout photographier ou photographier tout le temps. Tout ce à quoi je pense, ce que j’ai vécu ou ce que je vis, je le recrée avec la photographie
Tout à fait. « The Myth » a été réalisée dans un grand hôtel près du lac de Côme où nous séjournions avec Dovile. Nous voulions un enfant. Quand j’ai vu notre chambre, son environnement, son décor, j’ai eu l’idée de cette série sur ce désir et ce qu’il génère en légendes. Le propriétaire nous a mis à disposition les 94 chambres de l’hôtel dans lesquelles nous avons réinterprété de manière ludique, avec Dovile, ce mythe de la fertilité. Dans une série de photographies, on la voit les jambes levées comme recommandé après un rapport sexuel.
Je n’ai jamais eu l’opportunité de le faire, si ce n’est pour Lech Walesa [ancien président de la République de Pologne]. Mais j’aimerais bien. J’ai eu très envie de photographier Angela Merkel. Il s’en est fallu de peu. En février dernier, j’ai eu l’opportunité de photographier Emmanuel Macron, mais nous étions avec Dovile au Japon.
Non, pour eux.
Le pape. Il m’intrigue, je pense que c’est une personne intéressante.
Son esprit, son énergie, son enthousiasme. Le cœur était rempli d’amour. Elle était totalement engagée, impliquée. Elle donnait beaucoup de force à ses artistes. Elle vous donnait le pouvoir de croire en ce que vous faisiez.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°623 du 15 décembre 2023, avec le titre suivant : Juergen Teller, photographe : « Donner les clefs de ce qu’il y a dans ma tête »