Galerie

ENTRETIEN

Suzanne Tarasieve, galeriste à Paris

« Les gens ont toujours aimé la peinture »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 18 septembre 2008 - 729 mots

Suzanne Tarasieve a ouvert une galerie à Barbizon (Seine-et-Marne) en 1978, avant de s’installer en 2003 à Paris, dans le 13e arrondissement. Le 26 septembre, elle inaugure avec l’artiste Neal Fox, le « Loft 19 », situé 3-5, villa de Lods, dans le 19e arrondissement.

Quel est le principe du Loft ?
C’est un lieu d’expérimentation et d’improvisation, un laboratoire pour les jeunes artistes et ceux plus confirmés. J’aimerais qu’un artiste y développe un nouveau concept. Ce sera aussi une résidence privée pour mes artistes étrangers. Ariel Orozco viendra ainsi travailler un mois en 2009. Boris Mikhailov n’a pas travaillé en France depuis les années 1980, et il a envie d’y séjourner pour repérer des lieux et faire une nouvelle série sur Paris. Ce qui change avec le Loft, c’est le côté plus intime. On passe plus de temps avec les artistes, cela leur donne plus de confort, c’est un fonctionnement plus humain. Ce sera aussi un lieu pour les collectionneurs, des gens pressés. Là, ils pourront prendre le temps de consulter des livres, regarder des œuvres. Les collectionneurs veulent un traitement particulier, que l’on s’occupe d’eux dans les meilleures conditions.

Vous êtes propriétaire des murs de votre espace de la rue du Chevaleret. N’êtes-vous pas inquiète de voir les galeries quitter les unes après les autres le 13e arrondissement ?
Même si le quartier se vide, les collectionneurs viennent toujours. Mais si tout le monde part, je partirai aussi. Je cherche ailleurs, mais tranquillement. Pourquoi pas dans le 19e ?

Votre liste compte beaucoup d’artistes allemands, tropisme rare chez les galeristes français…
En 1991, à Berlin, j’ai senti un magnétisme inexplicable, et aujourd’hui, je m’y rends une à deux fois par mois. En 1997, j’ai présenté Georg Baselitz et il est toujours dans ma galerie.

Précisément, comment avez-vous gardé Baselitz alors qu’il est aussi chez Thaddaeus Ropac ?
Je respecte Thaddaeus ; j’ai mes collectionneurs, il a les siens. Je me consacre aux œuvres sur papier de Baselitz.

Vous êtes une galerie orientée « peinture ». Un tel positionnement fonctionne-t-il en France ?
Les gens ont toujours aimé la peinture. C’est un médium hors temps. Seule la France lui a donné une tonalité « mode ». Quand je me suis installée dans le 13e, les gens pensaient que j’étais ringarde. En France, on est moins libre, mais les choses changent ; à l’École des beaux-arts de Paris, j’ai vu un regain d’intérêt et de qualité pour cette pratique.

Vous êtes l’une des rares galeries à accompagner chaque exposition d’un catalogue…
Ce support permet de fixer les expositions et de mieux diffuser une œuvre. Un artiste travaille toujours mieux quand il sait qu’il aura un catalogue. Les œuvres sont marquées d’une certaine façon, ce qui est bien pour l’histoire de l’artiste, du galeriste, mais aussi du collectionneur. Un artiste doit pouvoir garder sous les yeux toutes les pièces qu’il a faites. Quelle trace aurait-il sinon ? Je fais en sorte que le catalogue soit toujours bilingue anglais-français, et comporte une traduction dans la langue de l’artiste s’il est allemand, portugais ou autre. Je [développe] aussi des coéditions, par exemple avec les galeries Union (Londres) et Kleindienst (Leipzig) pour un livre sur Tobias Lehner. Par ailleurs, je vais participer à la production de la monographie sur Miguel Chevalier.

Vous êtes une marathonienne des foires. N’en faites-vous pas trop ?
J’en ferai probablement moins l’an prochain. J’en ai fait beaucoup car je voulais connaître le monde entier. Il ne faut pas ronronner dans son trou. C’est enrichissant de comparer le comportement des collectionneurs dans différents pays. En termes de contacts, cela m’a énormément apporté. Financièrement, on peut avoir de bonnes surprises. Il faut savoir perdre pour gagner.

Votre artiste Jean-Luc Moerman va collaborer avec la marque Longchamp pour des sacs. Comment jugez-vous les accointances croissantes entre les grandes marques et l’art contemporain ?
Il n’y a plus de frontières entre l’art, le design et la mode. C’est un business. Les gens qui achèteront des sacs de Moerman viendront-ils ensuite chez moi ? Je n’en sais rien. Longchamp est venu sur mon stand à la FIAC l’an dernier. Je n’ai aucune collaboration financière avec eux, je n’en cherche pas, mais j’aurais aimé un respect de mon travail, [par le biais d’]un « courtesy » à la galerie. Ils n’auraient pas dû me court-circuiter, mais s’adresser à l’artiste en même temps qu’à moi.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°287 du 19 septembre 2008, avec le titre suivant : Suzanne Tarasiève, galeriste à Paris

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