Tour des galeries

Sur une variation de faits et gestes

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 25 février 2015 - 720 mots

L’humour et la poésie traversent les paysages de Jürgen Nefzger, l’hommage rendu à Lynne Cohen, les souvenirs de Evgenia Arbugaeva ou les témoignages autour d’une main.

PARIS - Il n’y a pas qu’en novembre, au moment de Paris photo, que les galeries parisiennes exposent des tirages. En témoignent, en ce moment, quatre lieux.  Dans les paysages de Jürgen Nefzger bouleversés, entachés, pollués par l’urbanisme effréné, la nature et la lumière douce d’une journée qui pointe viennent souvent adoucir, rendre supportable ce que les modes de consommation ont généré en constructions. À la galerie Françoise Paviot sa dernière série « Villa Florès », réalisée en Espagne en juillet 2014, n’y déroge pas. Elle distille en vingt petits formats (20 x 25, 1 300 euros pièce) des vues resserrées en noir et blanc de fenouil, de chardon, d’oseille ou d’herbes sèches. Constitué sous une lumière zénithale, l’herbier de Jürgen Nefzger (né à Fürthen Allemagne, en 1968) porte les dissonances de notre époque. Figure d’une nature qui regagne les terrains annexés par des opérations immobilières abandonnées, chaque photographie distille autant la perfection du tirage dans ses camaïeux de gris que le regain d’une végétation sur des vestiges de travaux d’aménagement inachevés. Placées ici en contrepoint de l’immense barre de Seseña aux ouvertures murées, dont la photographie a été réalisée en couleur en 2012 (160 x 195 cm, 10 000 euros), leur alignement renforce leur peuplement de ces espaces sans habitant.

Réappropriation du quotidien
L’hommage rendu à Lynne Cohen (1944-2014) par Fabienne Leclerc, dix mois après la disparition de l’artiste canadienne, propulse dans une autre exploration qui relève elle aussi à sa manière, des fragments d’aménagement porteurs d’une présence, d’une fonctionnalité, d’un état, mais cette fois dans des espaces intérieurs. Salon, salle de classe, bureau, laboratoire ou encore hall d’hôtel, chaque pièce évidée de ses occupants est une entité spécifique que déterminent uniquement l’aménagement, le mobilier ou la décoration du lieu. En demandant à Patrick Tosani de concevoir cette rétrospective, la galeriste place l’œuvre constitué sur plus de quarante années  sous le regard d’un autre artiste de la galerie à la démarche tout aussi conceptuelle et minimaliste, prompte à donner une présence à l’objet ou au vêtement photographié. En trente-trois photographies aux prix s’étageant de 3 500 à 32 000 euros, la rétrospective déroule les incidences du protocole de prise de vue immuablement identique d’une photographie à une autre. L’espace clos, usuel, devient du sol au plafond, et aux murs, le vivant et l’identité d’un monde aux figures incarnées par le mobilier et les éléments décoratifs ou fonctionnels propres à chaque lieu. Du modernisme naît l’étrange, le fantastique.

Le fantastique qui, chez Evgenia Arbugaeva (Tiksi, 1985) représentée en France et à l’international par la galerie In Camera, hante l’univers de Slava Korotky, le météorologue de la station d’Hodovarikha et unique résident de cette péninsule au Nord-Est de Saint-Pétersbourg dans la mer de Barents. Après sa série à succès « Tiksi », relative à sa ville natale aux confins Ouest de la Sibérie, la jeune femme relate dans chacune de ses images un autre lointain au climat aussi extrême avec ce ton du conte qui lui est désormais coutumier. Dans les nuits polaires balayées d’aurores boréales de Hodovarikha, la clarté du regard bleu de Slava, son quotidien et sa demeure restée dans son décor d’origine, la nature, la rudesse comme la solitude et le dénuement de l’homme forment une complétude envoûtante. Les prix des quinze images exposées, compris entre 1 500 et 4 000 euros selon le format, révèle quant à eux la cote ascendante de la photographe.

Pris par la main
Toutes aussi marquantes sont les variations poétiques de Didier Brousse autour de la main. « Ce sont trois photographies de main envoyées par Kristoffer Albrecht (Finlande, 1961), nouvel arrivant à la galerie, qui m’ont donné cette idée », explique-t-il, dont celle des doigts graciles effleurant  le carreau d’une fenêtre. Pas une de la cinquantaine de photographies tirées de travaux des dix-neuf photographes de la galerie Camera Obscura qui n’exprime la grâce, la magie d’un instant et l’esprit de son auteur accessibles également, ici, dans une large fourchette de prix variant de 600 à 12 300 euros. D’Anita Andrzejewska à Masao Yamamoto, en passant par Sarah Moon, Patrick Taberna ou Bernard Plossu, il faut se laisser porter par ce que chacune d’entre elle évoque.

Jürgen Nefzger, Residencial, Galerie Françoise Paviot, jusqu’au 14 mars 2015, 57 rue Sainte-Anne, 75002 Paris, jeudi-samedi, 14h30-19h, sinon sur rendez-vous, www.paviotfoto.com

Lynne Cohen : un hommage, carte blanche à Patrick Tosani, galerie In Situ Fabienne Leclerc, jusqu’au 21 mars 2015, 19 rue Michel Leconte, 75003 Paris, mardi-samedi 11h-19h, www.insituparis.fr

Evgénia Arbugaeva, Weather Man, in Camera galerie, jusqu’au 4 avril 2015, 21 rue Las Cases, 75007 Paris, mardi-samedi 14h-19h, www.incamera.fr

La main, variation sur le thème de la main par dix-neuf photographes, Galerie Camera Obscura, jusqu’au 14 mars 2015, 268 boulevard Raspail, 75014 Paris, mardi-vendredi 12h-19h, samedi dimanche 11h-19h, www.cameraosbcura.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°430 du 27 février 2015, avec le titre suivant : Sur une variation de faits et gestes

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