La galerie Antoine Laurentin présente une exposition de dessins de Paul Élie Ranson (1861-1909), artiste nabi qui, bien qu’essentiel dans le développement de ces « prophètes », fut longtemps relégué au second plan. Dans le prolongement de la monographie organisée au Musée du Prieuré, à Saint-Germain-en-Laye, et du catalogue raisonné publié l’an dernier, cette exposition tente d’éclairer la diversité d’une œuvre brève et éclectique.
PARIS - Paul Ranson est l’un des artistes nabis qui, décédé prématurément, n’a pu atteindre la postérité de Maurice Denis ou de Paul Sérusier. Comme l’indique l’introduction du catalogue de l’exposition, il ne figure après 1945 que sur les listes nominales des Nabis, ses œuvres n’apparaissant que périodiquement lors les expositions collectives. La monographie organisée au Musée du Prieuré à Saint-Germain-en-Laye en 1997-1998 et la publication, l’an dernier, du catalogue raisonné signé par Brigitte Ranson Bitker et Gilles Genty, ont permis de mieux cerner cette production trop longtemps réduite aux seules sinuosités japonisantes. À l’instar des autres Nabis, Paul Ranson a construit son œuvre grâce à plusieurs faisceaux d’influences, de l’héritage de Gauguin au Symbolisme. Le faible nombre d’œuvres recensées par le catalogue raisonné – moins de 800 – s’explique en partie par les destructions opérées par l’artiste dans ses crises de colère légendaires. « Ranson a été collectionné très tôt par des amateurs d’œuvres nabi comme Samuel Josefowitz. Ils ont acheté toutes les pièces majeures sans les revendre par la suite. Cela explique la rareté de Ranson sur le marché. Il est peu probable que des œuvres exceptionnelles repassent de sitôt dans les ventes », commente Antoine Laurentin. « Le marché de Ranson n’est pas inexistant. Il est en partie caché et extrêmement inégal. Le grand drame des Nabis vient du fait que leur production n’apparaît presque jamais sur le marché officiel. Il est du coup extrêmement difficile d’en déterminer la valeur », poursuit Gilles Genty. La cote de Ranson est loin d’être fixée, comme en témoignent les écarts de prix étonnants pour des œuvres d’une veine similaire. Bien que cette année deux adjudications importantes, l’une de 63 750 livres sterling (environ 640 000 francs, Sotheby’s, Londres 27 juin 2001), l’autre de 11 750 livres (Christie’s, Londres 27 juin 2000), aient couronné des paysages sur toile de Ranson, la majorité des pièces se négocient autour de 40 000 à 60 000 francs.
Inégalités dans les cotes des « petits » Nabis
On remarque par ailleurs des disparités de prix entre les Nabis pour des œuvres de facture similaire. Paul Ranson et Georges Lacombe, qui avaient souvent peint ensemble dans la forêt d’Écouves, produisaient des paysages d’une inspiration quasi identique. Deux tableaux de cette série, peints par Ranson, sont passés chez Christie’s le 28 septembre dernier, l’un étant adjugé 6 500 livres sterling (66 000 francs environ), l’autre 7 500 livres. Le lendemain, à l’hôtel des ventes Gabriel de Lorient, un tableau de Georges Lacombe, intitulé Chêne du vignage, légèrement plus grand que les deux toiles de Ranson mais d’époque et de sujet identiques, s’envolait quant à lui pour 206 000 francs. « En ce qui concerne les petits Nabis, il y a des trous énormes, des exemples d’inégalité totalement incompréhensibles. L’objectif de cette exposition est de stabiliser la cote de Ranson », explique Gilles Genty.
L’exposition, orchestrée par Antoine Laurentin et les descendants de Ranson, présente 33 dessins et une huile s’échelonnant sur toute sa période de création, de 1890 à 1906. Elle explore tous les thèmes qu’affectionnait l’artiste, de la sorcellerie à l’ésotérisme en passant par la nature et le théâtre.
Théâtre de marionnettes
Le dessin à l’encre de Chine intitulé Guignol, daté 1896-1897, a été découvert en Allemagne par Antoine Laurentin. Il témoigne de la passion de Ranson pour le théâtre de marionnettes. L’artiste avait d’ailleurs ménagé un espace dans son atelier pour ce genre de spectacle. La Sorcière au hibou, de 1897-1898, déploie le vocabulaire satanique découlant des œuvres fantastiques de Félicien Rops. Dans la lignée ésotérique et érotique, la galerie propose un pastel de 1900 intitulé les Étoiles tombées, inspiré de la légende d’Orphée. Dessinée dans de violents contrastes de bleu et de jaune, cette œuvre est proposée pour 180 000 francs. Les femmes cousant de 1891, fusain fortement inspiré de Gauguin et de Sérusier, présente plusieurs Bretonnes affairées à leur aiguille. Proposé pour 60 000 francs, ce sujet est assez rare dans l’œuvre de Ranson car, contrairement aux autres Nabis, il a très peu séjourné à Pont-Aven. L’exposition accorde une part importante aux paysages, en proposant 11 dessins et une toile dans une fourchette de 40 à 45 000 francs. Les pastels de paysage sont relativement nombreux puisque 150 ont été répertoriés. La Nature nourricière a toujours été au cœur des préoccupations de Paul Ranson, qui, dès son enfance, fut guidé par son grand-père, le dessinateur Jacques-Joseph Maquart. Bien qu’ils relèvent d’un aspect moins connu de sa production, les paysages sont les rares œuvres qui surgissent encore, de manière sporadique, sur le marché.
Jusqu’au 8 décembre 2001, galerie Antoine Laurentin, 65 rue Sainte-Anne, 75002 Paris, tél. 01 42 97 43 42, du lundi au vendredi de 10h à 13h et de 14h à 19h, samedi de 11h à 17h.
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Sorcellerie et ésotérisme
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°136 du 9 novembre 2001, avec le titre suivant : Sorcellerie et ésotérisme