Sophistication rustique de Georges Jouve

L'ŒIL

Le 1 septembre 2004 - 494 mots

Avec une double formation à l’école Boulle et à l’académie Jullian, Georges Jouve était préparé à tout, même à la céramique qu’il découvre par hasard lors d’un séjour forcé près de Dieulefit, après son évasion d’un camp de prisonniers, pendant l’Occupation. Goût des matières et des techniques, maîtrise du dessin et des formes, il pouvait jouer les dilettantes en toute connaissance de cause. Ainsi du tour dont il manie et exploite les incertitudes, misant sur les décentrements, les galbes. Ainsi des formes et des techniques qu’il croise et greffe, additionne ou démultiplie. « Il chercha passionnément à sortir du rond », a écrit de lui Norbert Pierlot. Du rond peut-être mais point de la rondeur qui s’affirme toujours, majestueuse et familière, sûre d’elle, parfois rompue d’une arête, d’un biais, d’un pli, ou mise franchement en mouvement par des torsions. Ce jeu entre la surface pure et le motif en relief se traduit parfois par les incisions qui infléchissent le rond, créent une expression, donnent un œil, une bouche, un visage ou un corps à la panse. Procédé qui culmine avec les modèles « à la serviette » qui lui permettent de balancer le brillant et le mat, le tournage et le modelage. Alors que la lumière s’abîme et révèle l’ampleur de la forme en satinant l’émail noir de lueurs bleues, elle s’accroche à la surface de la terre crue, faisant ressortir ses incisions nettes. Graphisme net dans la terre molle comme une tablette de cire, motifs imbriqués comme des hiéroglyphes, rébus cosmique et familier : un coq, une chouette, un bouquetin ailé, un soleil. La cohésion de l’ensemble naît du jeu de la spatule qui unit les pleins et les vides, les formes et le fond de ses traits et de ses trous répétitifs, nerveux, sonores. Caquetage de l’ornement qui contraste avec le ronron généreux de la panse noire. Jeu désinvolte, appuyé par une ultime pointe d’humour : l’empreinte aux quatre coins de punaises qui souligne la nonchalance de l’accrochage de la plaque de terre sur le vase tourné. Trompe-l’œil que connaissent les dessinateurs ou les graveurs comme Piranèse qui « commentent » sur une feuille apparemment surajoutée les objets présentés sur l’autre, trompe-l’œil aussi dans ces porcelaines du xviiie siècle où des gravures semblent collées sur une surface de bois. Jouve bien sûr ne tombe pas dans ces facilités mais sous l’apparente rusticité qui plaisait tant dans les années 1950, une sophistication s’affirme qui a contribué à sa résurrection, il y a une dizaine d’années dans un tout autre environnement. Dans sa galerie de la rue de Lille Jacques Lacoste fait voisiner Jouve avec le baroquisme pointu des tôles de Prouvé (Jean), la générosité pseudo-primitive des bois de Perriand (Charlotte), les malles coffres (forts) de cuir et chêne de Dupré-Lafon ou les matités chic de Jean-Michel (Frank). Pour cette photo, le vase de Jouve a été placé tout simplement sur une table de l’artiste sur fond de papier kraft, le maître aurait aimé.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°561 du 1 septembre 2004, avec le titre suivant : Sophistication rustique de Georges Jouve

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