Amateurs de gravures, lithographies, dessins ou autres bonnes feuilles seront comblés en ce mois de mars puisque se tiennent de Paris à New York deux salons spécialisés. On remarquera néanmoins la carence d’artistes contemporains qui semblent pâtir d’un manque de prestige.
Créé en 2002 à l’initiative de la Chambre syndicale française de l’estampe, du dessin et du tableau, le Salon de l’estampe répondait à un besoin croissant dans la profession depuis plusieurs années, notamment après la fermeture de Saga. « Il faut alors réagir » et un salon convivial, en comité restreint, est lancé, comptant cette année trente-cinq exposants, parmi lesquels un tiers de galeries étrangères. Dirigé par un comité particulièrement strict, compte tenu de quelques abus commis lors de précédentes foires, celui-ci n’accepte que des estampes originales, c’est-à-dire conçues et réalisées par l’artiste avec l’aide de l’imprimeur. Le tirage unique doit également être pratiqué et non le procédé peu scrupuleux consistant à redémarrer la numérotation lorsqu’une couleur change, dupant l’acquéreur qui s’imagine posséder une estampe numérotée à cent exemplaires, alors qu’il en existe bien d’autres, à quelques détails près… Répondant à la question sur l’accueil réservé à l’estampe depuis quelques années, Robert Guiot, président de la Chambre susnommée précise : « On ne peut pas dire qu’elle soit “passée de mode”, mais il fallait reconquérir une génération. Ce marché a pâti pendant quelques années d’une absence d’originalité. Les lithographies d’interprétation et l’inflation sur certains artistes ont fait que le public lui a un peu tourné le dos, entraînant une crise au cours des années 1990, puis la confiance est progressivement revenue. »
À présent, la moyenne d’âge des acquéreurs a rajeuni, les premiers prix – autour d’une centaine d’euros – y jouent aussi un rôle, ainsi que les habitudes de présentation, celle-ci étant passée de la conservation en portefeuille à l’accrochage. On pourra ainsi admirer chez Xavier Seydoux deux grandes Vues de Paris de Jacques Callot, Le Louvre et Le Pont-Neuf, des eaux-fortes originales du IIe état sur V, datant de 1630, à 5 000 euros. Ce galeriste expose aussi une œuvre de Johann Liss, peintre qui concourut au développement de la peinture baroque en Allemagne au début du XVIIe siècle et n’exécuta que deux estampes dont cette Céphale et Procris de 1622-1625, une eau-forte originale à l’état unique proposée à 7 500 euros. Paul Prouté, qui a été très bien accueilli l’année dernière par un public comprenant de nombreux professionnels, dévoile une eau-forte de Rembrandt datée de 1748, Autoportrait dessinant à la fenêtre, épreuve du IIe état sur V. Jacques Callot y est également mis à l’honneur avec La Carrière de Nancy, une eau-forte de 1627. La galerie Images anciennes a, quant à elle, sélectionné des estampes à la « manière de dessin », appellation professionnelle que l’on retrouve plus couramment sous le titre de gravure sanguine, dont cette Femme au Bonnet du milieu du XVIIIe siècle par Louis-Marin Bonnet, d’après Greuze. Ces planches gravées sur cuivre donnent la même finition que le dessin et se réalisent également en noir. Chez Arsène Bonafous-Murat, une lithographie au crayon, plume et pinceau « capitale » de Géricault, intitulée Boxeurs, de 1818, est proposée à 125 000 euros.
Les pièces maîtresses de la galerie Grillon sont le Modèle lisant de Théophile Alexandre Steinlen, une eau-forte, pointe sèche et aquatinte sur zinc, éditée à vingt-cinq épreuves et quatorze essais ainsi qu’un premier état de Rodolphe Bresdin, La Comédie de la mort, une lithographie de 1854. La galerie Documents a axé son stand sur le thème du spectacle avec notamment une œuvre à 18 000 euros du peintre et graveur Henri-Gabriel Ibels, qui, bien qu’on l’ait quelque peu oublié, fut l’un des cinq fondateurs du groupe des Nabis. Cette lithographie, une épreuve avant la lettre représentant des personnages de la commedia dell’arte, a été conçue en 1897 pour la vitrine d’un marchand d’estampes afin de présenter une exposition. La galerie Laurencin (Lyon) met en avant l’œuvre de Victor Prouvé, notamment avec ce Nus, autour de 1925, une eau-forte et aquatinte sur vélin.
Jörg Maass (Berlin) présente un one-man show Beckmann comprenant des œuvres de 1911 à 1923, dont de nombreux Autoportraits comme cette gravure sur bois de 1922, alors que le stand de Claude Deby (Bruxelles) est consacré à Chillida. Parmi les œuvres plus contemporaines, Martine Namy-Caulier propose des aquatintes et eaux-fortes d’Anne Goujaud, réalisées sur papier Japon contrecollé, ainsi que des plaques du peintre et graveur espagnol Joachim Capa dans une palette de couleurs très vives, jouant sur des effets de transparence C’est un autre Espagnol, Manolo Valdés, qui est exposé à la galerie Maeght, en compagnie du Français Tal-Coat.
À découvrir chez Michèle Broutta, les travaux d’artistes vivants tel Mikio Watanabe, sur la manière noire, cette technique qui donne des images au noir velouté intense, où les sujets apparaissent en négatif.
Une sélection qui force néanmoins à constater que peu d’artistes contemporains parmi les plus cotés s’adonnent à l’estampe.
Le Works on Paper de New York pourrait s’apparenter à un mélange de ce salon avec celui du dessin (tout en présentant des œuvres plus récentes aux prix plus abordables), auxquels viendraient s’ajouter des photographies, des affiches anciennes... Créé en 1989, les organisateurs voulaient en faire une foire « éclectique, accessible, de haute qualité, lançant un appel à tous les collectionneurs d’œuvres sur papier ». Le pari semble réussi si l’on en juge par les quatre-vingt-six exposants qui mettent chacun en avant la bonne organisation de la foire. Cette manifestation permet en outre aux marchands n’étant pas regroupés autour de l’IFPDA (International Fine Print Dealers Association) d’exposer alors qu’ils ne peuvent participer aux prestigieuses Print Fair, disséminées aux États-Unis, mais strictement réservées aux membres.
Quelques Français ont répondu présents, notamment la galerie De Bayser qui expose une Étude de chat de 1830 signée Delacroix, ou une aquarelle de La Fresnaye, Étude de couple, datant de 1913. Rappelant que dans cette foire l’image compte davantage que le nom de l’artiste, la galerie propose aussi des œuvres de décorateurs des années 1920-1930 ou l’Intérieur d’un café parisien de Raphaël Jacquemin, graveur du xixe siècle, ayant reproduit de nombreux petits détails so french ! Chez Dumas-Simart, c’est une Tête de femme de 1771 de Louis-Marin Bonnet qui a été sélectionnée et mise en vente à 18 000 euros. Gravée à la manière du crayon d’après François Boucher, il s’agit d’un premier état imprimé en couleurs au repérage (des points sont d’ailleurs visibles dans les marges), une technique difficile dans la mesure où la planche est repassée à chaque changement de couleur.
On remarquera également parmi les œuvres anciennes, la programmation générale étant plutôt axée sur les périodes modernes ou contemporaines, le Combat d’un lion et d’un tigre de Géricault, datant de 1822. Cette ébauche au crayon rehaussée d’aquarelle aurait été exécutée après le retour de l’artiste de Londres, dans une technique tout à fait caractéristique de l’évolution de son style à cette époque. Son marchand, Mr Johnson, de la galerie éponyme à Chicago, souligne l’importance du marché des estampes et dessins où l’on peut encore trouver de véritables chefs-d’œuvre de premier choix, à l’inverse du marché des peintures où, selon lui, les œuvres circulant ne sont plus que rarement des pièces majeures.
La galerie Frederick Baker (Chicago) a choisi de mettre en avant l’artiste Lyonel Feininger avec une eau-forte de 1911 éditée à cent trente exemplaires à 8 000 dollars. De Chirico est chez Gillian Jason (Londres), qui participe pour la deuxième fois afin de développer son marché à New York, avec Le Couple antique, une encre et crayon sur papier de 1930. William Weston (Londres) propose une gravure de 1966 signée Magritte, La Comtesse de Monte-Cristo – Les Bouteilles, l’un des rares travaux sur papier de l’artiste à être signé au crayon, proposé à 11 850 dollars. Et il sera difficile de passer à côté de ce Traffic de 1999 de l’artiste pop art Red Grooms, une lithographie en trois dimensions présentée dans une boîte en Plexiglas (d’environ 60 x 72 x 25 cm), par Michele Birnbaum (New York) ou les lithographies de Joan Mitchell autour de 2 500 dollars, accolées aux œuvres de Jasper Johns et Roy Lichtenstein, chez G. W. Einstein (New York). D’autres galeries ont opté pour la photographie, parmi lesquelles Charles Nes (New York) avec L’Amphithéâtre d’Arles, un tirage albuminé de 1853 d’après un négatif d’Édouard Baldus, célèbre pour ses photos des monuments français. Ou, plus contemporain, Shakespeare, un tirage noir et blanc de 1999 de Hiroshi Sugimoto à 75 000 dollars chez Alan Koppel (Chicago), pour qui la concentration de la foire sur un médium oblige des galeries, pas nécessairement spécialisées au départ, à ne sélectionner que des œuvres de très haute qualité « plutôt que d’essayer de faire une installation de mini-musée montrant quelques peintures, quelques sculptures et quelques vidéos... » Une expérience à exporter ?
- PARIS, Salon international de l’Estampe, espace Auteuil, tél. 01 45 56 09 09, 28-31 mars.
- NEW YORK, Works on Paper, Armory, Park Avenue, tél. 00 1 212 777 5218, 27 février-2 mars.
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Salon de l’estampe et Works on Paper : le support papier sous toutes ses coutures
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°545 du 1 mars 2003, avec le titre suivant : Salon de l’estampe et Works on Paper : le support papier sous toutes ses coutures