Armelle Malvoisin : Vous venez de publier un livre sur l’histoire de votre famille (1), une dynastie d’experts en numismatique dont vous êtes l’héritière. était-ce un projet qui vous tenait depuis longtemps à cœur ?
Sabine Bourgey : Non, je me suis plongée il y a deux ans un peu par hasard dans mes archives professionnelles familiales, lesquelles remontent à l’époque de mon grand-père, Étienne Bourgey, fondateur du cabinet numismatique en 1895. Suite à la faillite de mon arrière-grand-père en 1870-1871, juste après la Commune, mon aïeul est parti de rien. Les premiers documents que j’ai trouvés remontent à l’année 1893 ; il était alors établi poste restante. Je n’ai pas connu mon grand-père, aussi était-ce assez émotionnel de me lancer dans mon histoire familiale. Ce qui était important pour moi en tant que fille unique, c’était de rendre hommage à la fois à mon grand-père et à mes parents. C’était d’ailleurs le vœu de mon père, formulé dans son testament à mon égard. Ce livre est une façon de le faire. Et puis c’est amusant de raconter l’exercice de son métier et particulièrement du milieu antiquaire.
A. M. : Quels lecteurs votre livre va-t-il intéresser ?
S. B. : Je m’attends d’abord à être lue par des clients, soit des gens passionnés de numismatique pour lesquels une maison ancienne comme la mienne représente quelque chose en dehors des objets qu’elle vend. Et puis j’espère toucher un autre public : des personnes s’intéressant au marché de l’art en général, qui ont le goût du passé, sont éprises de généalogie mais aussi des personnes de ma région d’origine, c’est-à-dire la Savoie et l’Isère. J’ai abondamment illustré ce livre de documents et de photographies pour le rendre plus distrayant. J’ai essayé de faire en sorte que cela soit vivant et de faire connaître ce domaine qui est, contre toute attente très varié, et qui, bien qu’ayant l’air austère, ne l’est pas. Sans me prendre au sérieux, si faire se peut.
A. M. : Cet ouvrage est aussi distrayant et se lit comme un roman grâce à votre style enlevé et plein de vie auquel vous nous aviez déjà habitués dans d’autres ouvrages, dont Le Grand livre du petit coin et L’Art et la manière d’avoir de la chance. Avez-vous tout livré ou avez-vous eu quelques retenues ?
S. B. : Je n’ai pas tout livré de ma vie personnelle et ni de celle de mes parents. Je toujours suis gênée par les déballages. Mais, si j’ai d’abord ciblé mon livre sur la partie professionnelle, il y a aussi des choses sur la vie privée. Je n’ai pas voulu publier les lettres d’amour de mon père à ma mère. Cela ne regardait qu’eux et ce n’était pas le sujet du livre. En revanche, j’ai été très surprise par une lettre très tendre de mon grand-père – que je voyais comme un pionnier et un self made man – à son fils. J’en parle dans mon livre, et également de certaines de ses lettres (il s’était marié très tard) à ses maîtresses au début du XXe siècle, correspondance que j’ai trouvée très charmante. À cette époque, les gens écrivaient merveilleusement bien. Cela m’était aussi plus facile d’aborder la vie de mon grand-père, ne l’ayant pas connu.
A. M. : Votre père était un syndicaliste, notamment au sein du Syndicat national des antiquaires (SNA) dont il a été vice-président (comme vous), et un cofondateur de la Biennale des antiquaires. Vous avez en quelque sorte repris le flambeau… Et le mois dernier, vous avez été nommée membre du nouveau Conseil des ventes volontaires (CVV).
S. B. : Je suis ravie d’apporter ma contribution au Conseil des ventes et je pense que les missions vont être intéressantes. Je m’occupe aussi du prix SNA du livre d’art depuis sa création en 2001, événement auquel je suis très attachée. Quant à la Biennale [des antiquaires], l’idée de vouloir l’annualiser était une « imbécillité ». L’annualisation est un effort que beaucoup ne pourraient pas faire tous les ans. Cela équivaudrait à mettre un moteur de 2CV dans une carrosserie de Ferrari. Il faut se concentrer sur cette foire unique en son genre qui, pour qu’elle soit réussie, doit présenter un joli décor aéré qui ne soit pas trop écrasant pour les stands. La seule chose qui compte est la qualité de leur contenu. La prochaine édition, en 2012, devrait être formidable en raison de la grande diversité des spécialités représentées et du niveau des exposants. J’ai moi-même des clients qui n’achètent qu’à la biennale. Ils sont flattés que leur domaine de collection soit représenté lors de cet événement prestigieux.
A. M. : Cela a-t-il été difficile d’être une femme dans votre domaine ?
S. B. : Dans mon métier, le fait d’être une femme m’a plutôt aidée. Sans jouer les minettes attardées ni les camionneurs, j’ai eu des coups de main que je n’aurais pas obtenus si j’avais été un homme.
A. M. : Sans descendant à qui passer la main, qui va vous succéder un jour à la tête de la maison Bourgey ?
S. B. : J’ai des confrères étrangers qui me tournent autour, pour tâter le terrain… [rires]. Mais je ne sais pas de quoi j’aurais envie plus tard. Ce n’est pas d’actualité pour l’instant.
A. M. : Que contient la prochaine vente de monnaies dont vous êtes l’expert ?
S. B. : La vente se tiendra à Drouot le 16 novembre sous la houlette du commissaire-priseur Vincent Fraysse avec lequel je travaille régulièrement. Elle comprend une belle collection de monnaies françaises en or du XIVe au XIXe siècle, avec une jolie série gothique incluant un denier d’or à la masse de Philippe IV le Bel (est. 12 000 euros) et un ange d’or de Philippe VI de Valois (est. 8 000 euros).
(1) Sabine Bourgey, Sous le signe du métal, histoire d’une famille du marché de l’art, éditions Bourgey, 2011, 317 p., 260 ill., 37 €, ISBN 978-2-9026-1702-9. En vente au cabinet Bourgey, 7, rue Drouot, 75009 Paris, tél. 01 47 70 35 18 et sur le site www.franceantiq.fr/sna/bourgey
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Sabine Bourgey : « L’idée d’annualiser la Biennale est une imbécillité »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°356 du 4 novembre 2011, avec le titre suivant : Sabine Bourgey : « L’idée d’annualiser la Biennale est une imbécillité »