PHOTOGRAPHIE

Ristelhueber, le temps de l’enfance et les martèlements du monde

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 11 avril 2019 - 527 mots

L’artiste est exposée à la fois à la galerie Jérôme Poggi et à la galerie Catherine Putman à Paris.
Paris. Jamais peut-être Sophie Ristelhueber n’aura donné autant forme à ce qui l’habite. Certes les dernières pièces de l’artiste diffèrent totalement d’une galerie à l’autre dans leurs sujets, formes, formats, nombre d’éditions ou prix. Le travail sur les objets familiers de son enfance à la galerie Catherine Putman, réuni sous le titre « Les orphelins », n’a rien à voir avec les grands formats de bitume des trottoirs et rues de Paris et ceux des cratères de la mer Morte formés par l’assèchement des rives, présentés à la galerie Jérôme Poggi. Pourtant, chaque série parle autant de la photographe elle-même que du monde, de son goût pour la métaphore, les mots et les rapprochements de territoires de nature différente. Et la reprise de thématiques déjà traitées ne manque pas de souffle dans leurs nouvelles approches.
Une invite à la méditation
Chez Jérôme Poggi, les sols meurtris de la mer Morte et ceux accidentés du bitume parisien s’inscrivent dans la filiation des images d’« Eleven Blowups » (2006) nées après l’attentat contre l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri à Beyrouth. Ils rappellent aussi la série « WB » (2005), formée à partir des relevés des diverses obstructions de la circulation faites par les Israéliens sur les routes de Cisjordanie. La grande beauté formelle des douze photographies de « Sunset Years » tient toutefois à leur abstraction. Le titre lui-même ne relève pas d’une zone de tension mais des conflits intérieurs de leur auteure face au vieillissement et à la disparition d’êtres chers. Rien de mortifère toutefois dans ces grands formats de 120 x 158 cm tirés à 3 exemplaires et affichés à 17 000 euros HT. Ils sont au contraire une véritable invite à la méditation.

À la galerie Catherine Putman, les échos intérieurs développent d’autres belles métaphores des stigmates du temps ou d’événements internationaux. « Les orphelins », selon le titre de cette exposition, présente des objets venant de l’enfance et des reconfigurations de cartes de géographie des années 1950, des reprises aussi de résolutions de l’ONU. Des tracés de routes, fleuves et de voies ferrées se font ainsi plans d’irrigation sanguine. Les formats sont plus petits, le nombre de tirages est plus élevé (entre 12 et 19 exemplaires) et les prix vont de 1 200 à 2 500 euros. Le lien de ces dernières œuvres avec des séries antérieures liées aux corps, aux tracés ou aux discours politiques est rappelé dans la deuxième salle de la galerie.

La reconnaissance de l’artiste par les institutions françaises n’est pas aussi forte que celle des musées étrangers. La National Gallery of Canada est désormais le musée qui détient la plus importante collection de ses pièces. Après avoir acquis le set complet de « Fait », elle vient d’acheter 12 tirages de la série « WB ». Depuis 2009, date la première monographie de l’artiste organisée en France par le Jeu de paume, le Musée national d’art moderne n’a acquis aucune nouvelle œuvre. Et c’est l’acquisition en 2016 d’un certain nombre de photographies par les Amis du Musée d’art moderne de la Ville de Paris qui a permis de faire rentrer Sophie Ristelhueber dans les collections !
Sophie Ristelhueber : Sunset Years,
jusqu’au 4 mai, galerie Jérôme Poggi, 2, rue Beaubourg, 75004 Paris ;
Les orphelins,
jusqu’au 11 mai, galerie Catherine Putman, 40, rue Quincampoix, 75004 Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°521 du 12 avril 2019, avec le titre suivant : Ristelhueber, le temps de l’enfance et les martèlements du monde

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