La traditionnelle suprématie de Sotheby’s a été mise à mal par Christie’s qui, pour l’ensemble de ses ventes genevoises, annonce un résultat de 72 280 115 francs suisses (296 millions de francs) contre 51 651 101 francs suisses (212 millions de francs) pour Sotheby’s. Encore plus significatif, Christie’s supplante Sotheby’s dans chacune des ventes.
GENÈVE - Les ventes d’objets précieux ont été largement dominées par l’enchère réalisée par "l’œuf d’hiver" de Fabergé, sculpté dans un bloc de cristal et serti de plus de 3 000 diamants. Les 7 263 500 francs suisses (30 millions de francs) obtenus par Christie’s pour cet objet ne constituent pas une surprise, étant donné la qualité exceptionnelle de ce chef-d’œuvre des arts décoratifs – offert par le tsar Nicolas II à sa mère en 1913 –, même si l’estimation était comprise dans une fourchette de 13 à 24 millions de francs français.
À ce jour, le record mondial pour un œuf de Fabergé était les 3 190 000 dollars (environ 18 millions de francs) atteints en 1992 pour le plus conventionnel "Love trophy". Il est intéressant de noter que le tsar avait déboursé à l’époque pour "l’œuf d’hiver" 24 600 roubles soit, ajusté à l’inflation, 1,5 million de francs. Ce même œuf était passé pour la dernière fois en vente publique en 1949 et vendu 1 870 dollars, soit environ 300 000 francs en monnaie constante.
Le reste de la vente de Christie’s, qui voit affluer toujours plus de clients privés russes, a très bien marché. Ceux-ci s’intéressent aux objets d’inspiration rococo ou typiquement russes, et laissent les œuvres plus classiques aux Américains et aux Européens.
Comme toujours, ce sont les bijoux qui ont atteint les prix les plus élevés. La vente de Christie’s fut même un festival puisque chaque lot important a trouvé acquéreur. Un diamant de couleur fantaisie rose, de près de vingt carats, a atteint 9 573 500 francs suisses (39 millions de francs), et un diamant bleu du même poids, 8 143 500 francs suisses (33 millions de francs). Toute la vente a été du même niveau. Un grand ornement de corsage, exécuté par Fouquet d’après un dessin de Mucha pour l’exposition universelle de 1900, bien qu’en mauvais état, s’est vendu à 443 500 francs suisses (1,8 million de francs).
La nouvelle décision de François Curiel, le responsable des ventes de bijoux de Christie’s, d’alléger les catalogues de tout lot de piètre qualité et de se concentrer sur la part supérieure du marché, s’avère un succès. Le total de la vente de bijoux de Christie’s s’élève à 54 millions de francs suisses (221 millions de francs) pour 435 lots. Sotheby’s, de son côté, a presque atteint 45 millions de francs suisses (184 millions de francs), mais avec un catalogue de 598 lots.
Pour l’ensemble de l’année 1994, Sotheby’s en Suisse dépasse encore Christie’s d’une courte tête. La remontée de ces derniers est cependant exceptionnelle ; on se souvient que l’année dernière, les parts de marché étaient respectivement de 63 et 37 %.
Signalons que les ventes de Sotheby’s pour le mois de novembre se sont heurtées à une succession d’incidents. Le lot le plus intéressant de la vente d’argenterie – un plat d’Anvers de 1629, par l’orfèvre Wierick Sommers I, en provenance d’Espagne – s’est trouvé bloqué par le gouvernement, tandis que le lot le plus important – une soupière d’Odiot faisant partie du service Branicki –, dont le défaut majeur est de repasser un peu trop souvent en vente ces dernières années, est resté invendu.
Enfin, la veille de la vente, un client a retiré une importante collection de bijoux d’une valeur de plus de 16 millions de francs. De plus, la vente de montres, ancienne place forte de Sotheby’s, n’a que moyennement marché, l’expert subissant même l’affront de voir son ex-assistante, passée chez Christie’s, obtenir de meilleurs résultats. Comme par exemple, ces 718 500 francs suisses (3 millions de francs) payés pour une paire de montres-pistolets vaporisateurs de parfum, un travail genevois du début du dix-neuvième siècle.
Les ventes de miniatures sont depuis plusieurs saisons l’apanage de Christie’s : un pur chef-d’œuvre de Fueger, un portrait supposé des trois sœurs Thun, a atteint la somme de 113 500 francs suisses (465 000 francs).
Les maisons de ventes aux enchères britanniques insistent beaucoup sur la qualité de leurs expertises. Pourtant, un lot de la vente d’argenterie de Christie’s laisse songeur. À l’occasion d’une vente Sotheby’s à Monaco, en juillet 1989, un lot comprenant une cafetière égoïste en or et son nécessaire de voyage, en partie en porcelaine de Sèvres, était retiré de la vente, l’expert, qui ne mentionnait aucune date pour ce lot, n’arrivant pas à tomber d’accord avec le propriétaire sur un prix de réserve. Plus d’un an après, la même cafetière est réapparue, seule, comme œuvre authentique de Thomas Germain datée de 1769.
À l’époque, l’estimation de Sotheby’s pour l’ensemble du nécessaire accompagné de sa cafetière était comprise entre 80 et 120 000 francs. Le mois dernier, celle de Christie’s pour la cafetière seule, était comprise entre 400 et 600 000 francs. Au bout du compte, un célèbre marchand s’est porté acquéreur à 234 500 francs suisses (960 000 francs).
1.Cafetière égoïste, or, atelier François-Thomas Germain, Paris 1769, Christie’s Genève, 15 novembre, 234 500 francs suisses (960 000 francs), (Est. : FS 100 -150 000)
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°9 du 1 décembre 1994, avec le titre suivant : Revirements