L’arrivée de François Tajan chez Artcurial changera-t-elle la donne à Paris ?
PARIS - Événement ? Non-événement ? Annoncé dans notre édition du 1er avril, le départ de François Tajan chez Artcurial Briest-Poulain-Le Fur aura entretenu pendant quelques semaines les conversations de café du Commerce avant son officialisation le 4 mai. Le transfert surprend quand on sait le veto farouche que celui-ci avait opposé à toute association avec Artcurial, un temps souhaitée par Rodica Seward, propriétaire américaine de Tajan SA. « C’était un projet de Rodica, fait dans mon dos. Son projet rajoutait de la confusion à une confusion existante », objecte François Tajan, dont les relations avec la nouvelle propriétaire de la maison étaient crispées. On peut aussi s’étonner qu’il ait préféré une maison dont le chiffre d’affaires a baissé de 31,1 % en 2004, alors que Tajan SA avait conservé une relative stabilité.
Devenu coprésident avec Francis Briest de la maison des Dassault, François Tajan doit installer la représentation d’Artcurial à Monaco. Il a aussi en charge le développement des sections arts décoratifs du XXe siècle, bijoux et livres. Sa dot, qui compte l’expert en ces mêmes arts décoratifs Félix Marcilhac, permettra de raffermir le pôle design déjà performant de la maison. Rappelons que les arts décoratifs du XXe ont représenté en 2004 11,4 % du chiffre d’affaires de Tajan SA, soit 7,3 millions d’euros. La communication d’Artcurial a été trop vite en besogne en intégrant dans le trousseau l’expert en livres Bertrand Meaudre. Celui-ci nous a déclaré qu’il travaillerait aussi bien avec Artcurial qu’avec Tajan, sans exclusive, selon le désir de ses vendeurs. La maison des Dassault a peut-être aussi été trop rapide en rebaptisant l’enseigne en « Artcurial Briest Le Fur Poulain Tajan ». Les avocats de Rodica Seward se sont empressés de lui adresser une sommation pour concurrence déloyale et contrefaçon.
Botte secrète
Labellisée jusqu’à présent sur le XXe siècle, Artcurial compte vraisemblablement multiplier ses cordes. À rebours de cette démarche généraliste, Rodica Seward avait souhaité porter l’accent sur le XXe siècle. Sa stratégie passe pour le moment par le renforcement des équipes internes et la création d’un réseau de marchands apporteurs d’affaires. Ces derniers avaient toutefois nourri les vacations de fonds de tiroirs, d’où les maigres résultats de la vente « Paris-Europe centrale-Paris » à l’automne dernier. « La maison Tajan n’a pas de position ferme sur le rôle des experts », regrette aussi Bertrand Meaudre.
Même si le déplacement de François Tajan n’a pas l’impact d’un tsunami, d’autant plus que les experts gardent la liberté de travailler avec d’autres maisons, les spéculations sur l’avenir de Tajan SA vont bon train. « Le départ de François n’a pas d’incidence, cela m’apporte juste un peu de liberté en plus pour gérer la société comme il convient », réplique Rodica Seward. Quid de Monaco, chasse gardée de la famille Tajan ? « Je n’imagine pas arrêter les ventes à Monaco et souhaite même renforcer notre présence sur place, indique Rodica Seward. Je connais bien le président de la Société des bains de mer : nous étions dans la même classe à Columbia Business School [à New York]. »
Tajan SA n’a sans doute pas déployé toutes ses cartouches. Jacques Tajan, qui a tenu le marteau lors de la dernière vente d’art orientaliste (lire p. 29), serait-il la botte secrète de la maison ? Le commissaire-priseur aux faux airs de retraité n’avait sans doute pas planifié que son fils quitte le bercail. Il a d’ailleurs récemment signé avec Tajan SA un contrat d’apporteur d’affaires et de conseiller exclusif de la maison. « Il reste encore 300 à 400 clients que j’ai vus l’an dernier et dont les objets ne sont pas encore vendus. Dans deux ou six mois, nous verrons où nous en sommes », nous a-t-il confié. Maître en poker menteur, le patriarche n’a pas baissé les armes. Rodica Seward précise néanmoins : « Une fois qu’un entrepreneur a vendu sa société, il est préférable que sa présence ne soit plus quotidienne. S’il souhaite continuer à s’impliquer dans le développement de l’entreprise, cela doit se faire de manière consultative et extérieure. »
Ces histoires de famille n’ont pas fait l’effet d’un coup de grisou sur les autres acteurs du marché parisien. « C’est comme les spécialistes qui passent d’un auctioneer à un autre, ou les transferts dans les grandes banques. Ce n’est rien de nouveau pour nous », indique Philipp de Württemberg, président de Sotheby’s France. Plus que les transferts, les rapprochements de société ouvriront la voie à une redistribution des forces en présence. Mais une fusion ne signifierait pas pour autant une addition de chiffres d’affaires. Comme le rappelle François Tajan, un plus un ne font pas deux, mais au mieux un et demi.
La concentration des structures n’est pas encore d’actualité, mais celle des affaires est patente. Du 1er janvier au 12 mai, quatre maisons étaient au coude à coude, avec un chiffre d’affaires de 15 millions d’euros pour Tajan, 12 pour Christie’s, 11,8 pour Sotheby’s et 10,6 pour Piasa.
Artcurial n’a pas souhaité communiquer [le chiffre de 11,2 millions d’euros, selon nos calculs], arguant juste d’une progression sur deux chiffres pour la période. Le jeu est toujours plus serré en tête des maisons parisiennes.
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Redistribution des cartes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°216 du 27 mai 2005, avec le titre suivant : Redistribution des cartes