Maître Hervé Poulain vient d’hériter d’une lourde tâche en acceptant la présidence du Symev (Syndicat national des maisons de vente volontaires). Aujourd’hui reconnu par ses pairs, l’avant-gardiste Hervé Poulain fut longtemps considéré comme un marginal. Un homme qui professe un bel amour de la vie et se veut bien dans son époque.
PARIS - Élégant, souriant, le verbe aisé, Me Poulain aime séduire. Une séduction sans artifice qui répond simplement à son amour des êtres : “Je suis un extraverti, un bateleur, j’aime la vie et personne n’en connaît plus le prix que moi.” Ni les chagrins, et les difficultés qui ont croisé sa route n’ont pu éteindre sa fabuleuse force et son envie d’avancer. L’humoriste Georges Wolinski, son ami depuis plus de trente ans, salue “l’homme cultivé, drôle et joyeux, qui aime l’existence”. Rien ne le destinait à devenir commissaire-priseur, ni pilote aux 24 heures du Mans. Il aime rappeler : “Je suis un exemple rassurant pour les jeunes gens et les jeunes filles qui se désespèrent de n’avoir pas de vocation. Tout ce qui compte dans ma vie était en moi, je ne le savais pas. Je suis fou de vitesse et de beauté.” Issu d’une famille de concessionnaires automobiles d’Avranches, il se préparait au barreau et “bibelottait”, “j’achetais déjà avec mes moyens d’étudiant des objets qui avaient pour seule vertu d’être d’époque”. Ses professeurs de Faculté l’observent et lui conseillent de devenir commissaire-priseur. En ce milieu des années 1960, cette profession n’est pas encore médiatisée. Ses maîtres lui trouvent un stage. “Je leur rends hommage, et suis toujours resté en contact avec eux.” La fidélité en amitié d’Hervé Poulain est légendaire. L’éditeur Jacques de Lignières le connaît depuis vingt-cinq ans : “Je le ressens comme mon frère, il est toujours présent.” Pour présenter son examen professionnel, le jeune homme dilettante se transforme en fou de travail. “Je bossais jour et nuit, j’étais incollable aussi bien sur la céramique que sur les meubles.” Il est reçu premier. C’est l’époque de la jeunesse, de la joie de vivre, et de la rencontre avec Pierre Cornette de Saint Cyr. “On est devenu instantanément copains, raconte ce dernier, j’aime sa droiture et sa gentillesse.” C’est encore le moment où il se lance dans la course automobile. “J’avais besoin de l’action, si je n’avais eu qu’une vie intellectuelle, je ne me serais pas senti accompli.” Sous l’impulsion de son frère qui a repris l’activité familiale, il participe au championnat de France de Rallye et gagne. “Je courais pour la première fois, j’avais vingt-huit ans. J’ai participé à mes premières 24 heures du Mans à trente-quatre, et j’ai arrêté à cinquante-huit.” Pierre Cornette de Saint Cyr, avec qui il partagea un temps son association avec Guy Loudmer, se souvient de la folie de cette époque : “Hervé courait le week-end et gagnait. Le lundi matin, il klaxonnait en bas de chez moi, me montrait son trophée et venait prendre le petit déjeuner.”
Ses coupes sont compressées par César
Sa deuxième passion, l’art, est marquée par la découverte d’un bureau de Carlo Bugatti en parchemin vert d’eau. Il ne connaît pas le créateur. Peu importe, il emprunte à ses parents. “Lorsque ce meuble est arrivé chez moi, j’ai compris son importance.” Alors, il entasse dans un camion son mobilier classique, l’envoie à Avranches et part à la recherche des œuvres contemporaines. Il achète de l’Art déco alors que personne n’en veut. “Je suis un homme de mon siècle.” Aujourd’hui, il possède le meilleur des années 1925-1930, un ensemble réuni sans ostentation, dans un souci d’harmonie. Par amitié, César, Arman, Calder, tout comme Lichtenstein, Warhol et Wolinski, peignent gracieusement ses voitures de courses pour Le Mans. Les coupes qu’il a gagnées ont été compressées par César qui, en les lui rendant, a commenté :”J’ai compressé ta vanité et augmenté ta gloire.” Des compressions qui pour son plus grand bonheur réunissent ses deux passions, l’art et l’automobile.
La rencontre avec Guy Loudmer, un autre jeune commissaire-priseur, dont on commence beaucoup à parler, va être décisive. Ils s’associent. Dans ces années 1970, leurs doctes confrères regardent d’un œil critique ces jeunes loups turbulents. Hervé Poulain s’en amuse encore : “On nous présentait comme du racolage.” Ce n’est qu’un début. Ils se lancent en 1977 dans l’aventure d’un hôtel des ventes indépendant, rue du faubourg Saint-Honoré, à Paris. “Je me suis retrouvé dans l’inconfort dans lequel nous a mis une profession entière. Dans les dîners, nous nous faisions traiter de voyous, et le plus virulent à l’époque était le syndic de la Compagnie des commissaires-priseurs de Paris, Jacques Tajan.” Au tribunal, ils plaident la liberté d’entreprendre. Trop tôt : “À la stupéfaction générale, nous avons perdu.” Septembre 1979, Hervé Poulain a trente-huit ans et repart de zéro en reprenant une étude sans archives, sans clientèle. “Hervé est un battant, souligne Jacques de Lignières, le challenge le fait avancer.” Quelques années plus tard, il s’associe à Me Rémy Le Fur : “La grande joie de ma vie de commissaire-priseur, souligne-t-il. Rémy est le meilleur des quadras du métier.” Depuis, ils forment une équipe solide. “Nous sommes toujours sur la même longueur d’ondes, complices”, répond Rémy Le Fur. Ensemble, ils se sont lancés dans l’aventure de l’hôtel des ventes du Palais des congrès. “Il s’est remis en cause à cinquante-sept ans, alors qu’il pouvait tranquillement terminer sa carrière à Drouot”, admire Jacques de Lignières. Six mois avant l’ouverture de leurs nouveaux locaux, Hervé Poulain et Rémy Le Fur jouent la carte de la vente Groussay en s’associant à Sotheby’s. Laure de Beauvau Craon, présidente de Sotheby’s France, reconnaît “sous son apparence ludique, un personnage solide qui voit à long terme”. Une fois de plus, les réactions des confrères furent rudes. “Pour eux, nous étions des collabos, rappelle Hervé Poulain, et efface d’un geste toute ébauche de polémique. C’est humiliant d’avoir de petites rancœurs devant des comportements de petites gens, je suis et resterai confraternel.” Longtemps, il fut considéré comme un marginal à qui on voulait bien concéder du talent : “avant cinquante-six ans, je n’ai eu aucune responsabilité dans la profession”. Pourtant, il participe activement à la réforme des commissaires-priseurs, se déplace à Bruxelles. Pressenti pour devenir président de la Chambre nationale des commissaires-priseurs, il est rejeté par la province. Lui qui refuse de croire en Dieu et au destin, le voilà, à l’issue d’un long parcours avant-gardiste et sans concession, à la tête du premier syndicat professionnel. “Je me retrouve aux responsabilités et je dois les accepter à un moment historique.” Tel un pèlerin, il part faire son tour de France à la rencontre des confrères de province afin de faire réviser la loi sur la réforme des commissaires-priseurs jugée déjà obsolète. Hervé Poulain conclut dans une pirouette, “la mort ne m’aura pas vivant”.
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Quand marteau rime avec chevaux fiscaux
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°142 du 8 février 2002, avec le titre suivant : Quand marteau rime avec chevaux fiscaux