Dans un contexte raréfié, les conditions de vente jouent au jeu périlleux de la surenchère.
Contrairement aux lois habituelles du commerce, selon lesquelles l’acheteur est roi, la stratégie des maisons de ventes a toujours été de choyer les vendeurs avec des « services » sophistiqués. Dans un contexte où les œuvres se raréfient et la concurrence s’aiguise, ces derniers mènent la danse en poussant les auctioneers à franchir la ligne blanche. La première étape est de tirer sur la corde des estimations malgré le couperet fréquent du ravalé. Pour preuve, les prix totalement irréalistes avancés par Sotheby’s pour la collection Cesari en juin dernier. Dans le bras de fer qui oppose le duopole, les munitions se diversifient : garanties, frais vendeurs nuls, pire, rétrocession au vendeur d’un pourcentage des frais acheteurs... Autant d’exigences léonines qui écornent la viabilité des maisons de ventes et donnent aux vacations des allures de charity sales ! Bien que la politique de garantie ait prouvé ses limites avec les déboires de Phillips, Sotheby’s et Christie’s ne lésinent pas sur cet outil, notamment pour les collections d’art moderne et contemporain. La lecture du rapport d’activités de Sotheby’s du 8 novembre est éloquente. Au 30 septembre, la firme américaine aurait garanti pour 165 millions de dollars (plus de 126 millions de d’euros) un volume d’œuvres cédées entre le dernier trimestre 2004 et le premier semestre 2005. Le 5 novembre, la compagnie signait d’autres garanties pour un montant de 41,8 millions de dollars.
Christie’s dispersera l’an prochain la fastueuse succession d’Antonio Champalimaud, homme d’affaires portugais décédé en mai, et qui, d’après le magazine Forbes, « pesait » 3,1 milliards de dollars. Pour décrocher ce qui sera le clou des ventes en matière de mobilier XVIIIe, l’écurie de François Pinault a multiplié les courbettes. D’après certains professionnels, les héritiers du collectionneur seraient dispensés des frais acheteurs s’ils enchérissaient durant la vente ! Pour le commun des mortels, qui n’a pas l’heur d’être un héritier Champalimaud, de tels frais sont devenus exponentiels. De 10 % pour les maisons internationales en 1994, ces derniers ont bondi à 20 % sur les premiers 100 000 euros. Pour la France, ils sont passés de 9 % à 15 %, voire 18 %. On s’achemine subrepticement vers une suppression des frais vendeurs et une inflation de la dîme des acheteurs. L’acquéreur est d’ailleurs le cadet des soucis des maisons de ventes. Tout juste cherche-t-on à l’appâter avec des notices de catalogues de plus en plus longues, truffées de provenances réelles ou hypothétiques, sans garantie aucune pour l’étranger contrairement à la France.
Les vendeurs semblent encore inconscients de l’effet boomerang d’une course au meilleur deal. En les allégeant de toute commission tout en leur rétrocédant une partie des frais acheteurs, les maisons de ventes ne leur fourniront à terme qu’un service limité, faute de bénéfices. Ce qui suppose des budgets publicitaires moindres, des présentations moins internationales et surtout la difficulté de conserver ou recruter le nerf de la guerre, les spécialistes compétents. Le marché ne prend pas toujours la mesure des priorités.
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Quand les vendeurs mènent la danse
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°204 du 3 décembre 2004, avec le titre suivant : Quand les vendeurs mènent la danse