La santé du marché de l’art est fonction de la prospérité de l’économie et de l’enrichissement des ménages. Des analyses, effectuées sur une longue période montrent que, sur cent ans, dans un secteur comme celui des tableaux de maîtres anciens, la progression des prix a été très importante, si l’on défalque l’inflation. Un Bruegel qui se vendait à la fin du siècle dernier moins de 100 000 francs se négocie aujourd’hui plusieurs millions de francs.
LONDRES - Les ventes de maîtres anciens constituent l’un des meilleurs indicateurs pour observer les tendances à long terme du marché de l’art. C’est en effet la seule catégorie qui, par la fréquence des ventes et sa longue histoire, permet d’évaluer la situation de ce marché, qui a toujours été cyclique, et de prévoir son évolution. La beauté d’un objet ne le rend pas indispensable pour autant et le goût, qui le consacre pour un temps, est un goût changeant. Tout marchand sait que la santé de l’économie générale est très importante pour celle du marché de l’art. Il suffit de regarder les ventes d’art au cours des années quatre-vingt-dix pour mesurer les conséquences d’une période de récession. Selon art-sales-index.com, le volume de peintures vendues a connu son apogée en 1990 avec un total de 4,5 milliards de dollars. Il a suffit d’une baisse d’à peine 1 % des économies européenne et américaine pour faire chuter les ventes d’œuvres d’art à 1,5 milliards de dollars, en moins de deux ans.
Le tableau (lire ci-dessous), établi sur les trente dernières années, montre quels domaines ont réellement permis de gagner de l’argent. Les œuvres de Matisse et Monet sont celles qui ont généré les plus gros gains. Sept des dix pertes de valeur les plus importantes ont été enregistrées sur des œuvres vendues en 1989 et 1990, au sommet du cycle, alors que trois des cinq gains les plus élevés ont porté sur des pièces achetées entre 1971 et 1972. Les prix seraient-ils donc uniquement fonction de la bonne santé de l’économie ? Les maisons de ventes aux enchères et les marchands sont excusables de le croire. Dans son ouvrage, The Economics of Taste, qui a fait date au début des années soixante, Gerald Reitlinger explique que si l’on tient compte de l’inflation, des sommes considérées à l’époque comme astronomiques constitueraient aujourd’hui de bonnes affaires sur le marché.
Un Bruegel pour 78 000 francs
Au milieu du XIXe siècle, un Rembrandt se vendait pour moins de 1 000 livres, soit 65 000 livres d’aujourd’hui, un Rubens 1 800 livres, c’est-à-dire l’équivalent de 113 000 livres actuelles. En 1892, un Bruegel a été vendu 126 livres, soit 7 700 livres actuelles, et en 1958, une toile du même peintre a été cédée 2 730 livres, c’est-à-dire 38 000 livres aujourd’hui. Et il ne s’agit pas d’exceptions : Reitlinger donne des milliers d’exemples qui prouvent que ces prix étaient la norme. Les économistes se concentrent généralement sur des données qui s’appliquent à de vastes secteurs de l’économie. Le calcul du taux d’inflation n’échappe pas à cette règle. Le taux donné au public est celui de l’inflation économique générale. Calculé à partir des schémas de dépenses du consommateur moyen prenant en compte la nourriture, les vêtements, les services, l’essence, les loisirs (etc.), il nous informe du rythme auquel notre argent se déprécie. Mais il s’est avéré que les prix de marchandises spécifiques, telles les œuvres d’art, ne suivent plus le rythme de progression général des prix mais sont fonction de la demande, toujours croissante – cette dernière dépendant, elle-même, des revenus. Aux États-Unis et dans une grande partie de l’Europe, les revenus augmentent, depuis 1980, plus vite que l’inflation en raison d’une efficacité plus grande, et toujours grandissante, de l’ensemble de l’économie. La demande (et donc les prix) d’œuvres d’art ne progresse plus en fonction de l’inflation comme à l’époque de Reitlinger, mais du nombre de gens “riches”.
Au Royaume-Uni, en 1979, 200 000 personnes gagnaient plus de 14 200 livres par an, après impôts. En 1997, ce nombre a été multiplié par près de dix pour atteindre 1,8 million d’individus. Plus on grimpe dans la distribution du revenu, plus cette tendance s’affirme, car de plus en plus de gens gagnent des sommes impensables il y a vingt ans, et dépensent davantage pour leurs loisirs. Il y aura encore des cycles et des fluctuations et même de nouvelles récessions. Mais la tendance est nette : économiquement, la société continue de s’enrichir et les écarts entre les revenus de s’accroître. Désormais, l’inflation n’a plus qu’une incidence secondaire sur le marché de l’art : le niveau des prix est avant tout fonction de la quantité d’argent disponible pour une offre plus ou moins limitée. À la Bourse, il est fréquent d’entendre : “faites confiance à la tendance du marché”. Cela semble particulièrement vrai pour le marché de l’art.
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Quand l’économie va...
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°109 du 25 août 2000, avec le titre suivant : Quand l’économie va...