L’engouement du marché pour le Street Art se vérifie de nouveau cet automne. Mais tous les street-artistes ne sont pas logés à la même enseigne.
L'affaire a fait grand bruit outre-Manche : en juin dernier, au terme d’une série de rebondissements, Slave Labour, un pochoir réalisé illégalement par Banksy sur les murs d’un commerce londonien et mystérieusement arraché à la rue au grand dam des riverains, était adjugé 750 000 livres (soit environ 1,1 million d’euros) lors d’une vente aux enchères à Londres. Son auteur présumé avait pourtant toujours refusé de l’authentifier… Bien qu’exceptionnel par sa nature – il s’agissait non d’une toile, mais d’un « vrai » pochoir réalisé in situ – et par l’ampleur de sa médiatisation, cet énième record du pochoiriste anglais en salle des ventes illustre jusqu’à la caricature l’emballement des collectionneurs pour l’art urbain.
L’heure de la reconnaissance
Depuis le mitan des années 2000, cette mouvance née il y a quarante ans à la confluence des arts populaires et de la contre-culture conquiert lentement mais sûrement le marché : « En cinq ans, le nombre de galeries a explosé, note Claude Kunetz, directeur de la Galerie Wallworks. On n’en compte pas moins de quarante aujourd’hui. » Cet automne à Paris, les amateurs de Street Art pourront ainsi voir L’Atlas à la Galerie Magda Danysz (jusqu’au 9 novembre), Mist chez Franck Le Feuvre (du 14 novembre au 14 décembre), plus une série d’expositions collectives chez agnès b. (« État des lieux », jusqu’au 26 octobre), Wallworks (« Intérieur rue », jusqu’au 21 décembre) et à la Tour 13, où la Galerie Itinerrance a rassemblé hors les murs une centaine d’artistes internationaux (jusqu’au 31 octobre). S’y ajoutent les ventes aux enchères, de plus en plus nombreuses sur ce créneau. Rien qu’au mois d’octobre, on en compte trois à Paris : à Drouot (le 25, sous la houlette de Marielle Digard), chez Pierre Bergé et Cornette de Saint-Cyr (le 26). Y sont données à voir les diverses formes de l’art urbain (peinture à la bombe aérosol, pochoirs, affiches ou détournements) et ses différentes chapelles, du graffiti « historique » au Street Art né à la fin des années 1990. « La force de ce marché, c’est qu’il existe une offre conséquente et de qualité », résume Magda Danysz, galeriste parisienne.
L’engouement pour l’art urbain tient sans doute à sa longévité : les adolescents qui s’exerçaient au tag dans les années 1980 ont aujourd’hui 40 ans, et certains ont acquis les moyens de devenir collectionneurs. Il est aussi le reflet d’une reconnaissance institutionnelle croissante. Après la Tate Modern en 2008, le phénomène a tour à tour été célébré à la Fondation Cartier en 2009, au MOCA en 2011, et même, quoique discrètement, à Beaubourg au début de l’année. Or, chaque événement est un plébiscite : à sa fermeture en mars 2013, l’exposition « Au-delà du Street Art » au Musée de La Poste totalisait près de 75 000 visiteurs, soit trois fois plus que la moyenne de fréquentation du lieu. « L’art urbain est un mouvement lisible, accessible et qui casse toutes les barrières, y compris sociales, explique Nicolas Laugero Lasserre, directeur de l’Espace Pierre Cardin et détenteur d’une collection d’environ trois cents œuvres qu’il expose partout en France. Il se crée en lien direct avec le public, d’où l’intérêt de ce dernier. »
Un marché en trompe-l’œil
Pourtant, l’art urbain s’est longtemps tenu à la marge. De façon volontaire ou non : si le graffiti a d’emblée valorisé la prise de risque, le vandalisme et la gratuité, nombre d’artistes exposent dans la rue faute de mieux. Populaire, parfois naïf et maladroit, exécuté sans moyens et en toute illégalité, l’art urbain est pour beaucoup le fait d’autodidactes dont les goûts et les modes d’expression ne coïncident pas vraiment avec les codes de l’art contemporain. Cette particularité explique peut-être que le marché ait mis du temps à se structurer : « Rares sont les artistes issus de la rue à avoir une vraie connaissance du marché de l’art, affirme Claude Kunetz, et leur stratégie n’est pas toujours la meilleure. »
Pour accrocher les collectionneurs, le mouvement peut toutefois compter sur son caractère abordable : les œuvres s’écoulent à des prix allant de 500 à 10 000 euros, et seul un petit peloton de tête, où figurent Invader, JR, Jonone, Os Gêmeos, Barry McGee, Shepard Fairey et bien sûr Banksy, se place au-delà de cette fourchette… Et de manière significative, c’est aujourd’hui la génération Street Art, plus consciente du marché, parfois formée en école d’art, qui tire le mieux son épingle du jeu, tandis que les pionniers du graffiti (Seen, Futura, etc., à l’exception de Jonone) commencent à s’essouffler : « Beaucoup de collectionneurs réduisaient l’art urbain au côté vandale du graffiti, commente Arnaud Oliveux. Avec des artistes comme Rero ou Ludo, ils découvrent l’inventivité du Street Art. »
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Qualité « Street »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°662 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : Qualité « Street »