L’art de vendre des œuvres d’art de prestigieuses provenances,
souvent mises au secret par les propriétaires.
PARIS - Les commissaires-priseurs Éric Beaussant et Pierre-Yves Lefèvre ont le chic pour dénicher des fonds d’œuvres d’art qui allient qualité, virginité et bonne provenance. Ils en abreuvent régulièrement leurs vacations classiques, réputées parmi les plus attirantes de l’hôtel Drouot. Le 16 avril, ils y offriront une vente comprenant 121 tableaux et dessins, une centaine de meubles et une autre d’objets d’art, avec de belles ori-gines familiales anciennes pour fil conducteur. Entre un objet d’art inédit et de belle qualité, sans pedigree particulier, et le même objet auréolé d’une grande provenance, le prix d’adjudication peut varier du simple au double. Malheureusement, les provenances prestigieuses ne peuvent pas toujours être mises à profit lors d’une vente publique. « Souvent, le souhait des vendeurs est de ne pas révéler l’origine exacte des biens à vendre. Les raisons peuvent être d’ordre fiscal ou familial. Il s’agit par exemple d’éviter d’attirer l’attention d’autres branches de la famille sur la dispersion d’un morceau de patrimoine, indique Éric Beaussant. Cela nous empêche de faire état d’une provenance flatteuse et vendeuse. Mais il faut respecter la volonté de nos clients. »
Suggérer sans dévoiler l’origine des œuvres, tel est l’art subtil du professionnel de la vente publique, qui, « vis-à-vis d’acheteurs très motivés, susurre à leur oreille quelques précisions… ».
Le délicat problème de la provenance discrète se pose pour plusieurs lots de la vente du 16 avril, à commencer par le Portrait de Marie-Caroline de Bourbon-Deux-Siciles, duchesse de Berry (1798-1870). Estimée 100 000 euros au bas mot, cette huile sur toile peinte vers 1825 par Sir Thomas Lawrence et son atelier a tout pour plaire. Ce portrait est inédit mais connu, car le tableau original est conservé au Musée du château de Versailles, tandis qu’une réplique de l’ancienne collection McIlhenny est exposée au Musée de Philadelphie (Pennsylvanie, États-Unis). Cette femme magnifiquement portraiturée, très romantique, a, en son temps, incarné en France tous les espoirs de retour à la monarchie, et compte encore nombre d’admirateurs, fétichistes de la duchesse ou nostalgiques de l’Ancien Régime. Si la provenance n’est pas très précise pour les raisons évoquées plus haut, la notice du catalogue en dit assez long sur sa noblesse : « offert par la duchesse de Berry à l’une de ses belles-filles, puis resté dans sa descendance ». De la même provenance, on notera une Vue de la forteresse de Blaye peinte par la duchesse de Berry, monogrammée, datée 1856 et estimée 8 000 euros. Si ce tableau n’est pas un chef-d’œuvre, il est rare et touchant. « C’est dans cette forteresse que la duchesse de Berry, arrêtée à Nantes le 7 novembre 1832, sera incarcérée jusqu’au 8 juin 1833, souligne le commissaire-priseur. Plus de vingt ans après, elle a eu le besoin d’y retourner pour la peindre. »
Dans la famille…
Autre lot phare de la vente, un pastel d’Élisabeth Louise Vigée-Lebrun représentant le Portrait de « Camille » Henri Melchior de Polignac (1781-1855) est estimé 100 000 euros. Il est resté pieusement dans la famille du modèle depuis 1793, avec son pendant, le Portrait d’Auguste Jules Armand-Marie de Polignac (1780-1847). Les portraits des deux frères étaient indissociables avant d’être proposés à la vente au Musée du Louvre. L’institution vient d’acquérir celui d’Auguste, ce qui va certainement rehausser la valeur de l’autre. D’autres toiles intéres-santes, venant directement d’anciennes lignées, font carrément l’impasse sur la provenance. C’est le cas du Portrait de Job II Forant de l’école française de la fin du XVIIe siècle, estimé 5 000 euros, qui illustre un personnage important pour l’histoire de La Rochelle et du protestantisme, et d’un Portrait de femme par Nicolas de Largillière, tondo estimé 8 000 euros. Idem pour une paire de buffets demi-lune en acajou, à riche décor de bronzes dorés, de style Louis XVI, estimée 10 000 euros : le commissaire-priseur nous a murmuré à l’oreille qu’elle venait d’une grande famille de la fin du XIXe siècle et n’avait jamais bougé depuis.
Vente le 16 avril à Drouot, 9, rue Drouot, 75009 Paris, SVV Beaussant-Lefèvre, tél. 01 47 70 40 00 ; exposition publique : le 15 avril 11h-18h, le 16 avril 11h-12h, www.beaussant-lefevre.com
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Provenances discrètes
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- Estimation : 1 million d’euros
- Nombre de lots : 332
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°279 du 11 avril 2008, avec le titre suivant : Provenances discrètes