La cote à Paris, Londres et New York

Photographies du XXe siècle

Le Journal des Arts

Le 1 novembre 1994 - 1256 mots

Si plusieurs d’entre elles font figure d’icônes de notre temps, le marché de la photographie n’en demeure pas moins étroit, comme en témoignent les résultats des dernières ventes d’octobre à New York chez Sotheby’s et Christie’s, où 64 et 51 % seulement des lots ont été adjugés. Il est avant tout affaire d’amateurs passionnés, qui doivent rester vigilants, en particulier sur la qualité des tirages proposés.

Il faut attendre les années 70 aux États-Unis, puis les années 80 en France, pour que les ventes aux enchères spécialisées en photographie deviennent régulières. En 1952, à New York, Swann Galleries organise la première dispersion aux enchères d’après-guerre. La maison de ventes vendait la collection Albert Marshall, qui rapportait environ 14 dollars par tirage. Depuis, Sotheby’s et Christie’s ont pris le relais, en organisant des ventes à New York et à Londres, à vocation plus généraliste, alors que Swann Galleries se spécialise davantage dans la photographie ancienne. En France, quatre études de commissaires-priseurs – Beaussant-Lefèvre, Binoche, Lelièvre et Cornette de Saint Cyr?– occupent le marché. Mais leur chiffre d’affaires reste loin derrière celui des maisons anglo-saxonnes.

Le discours le plus habituel sur le marché de la photographie se résume aisément : autrefois ces œuvres ne valaient rien, aujourd’hui elles se négocient fort cher.

Dans sa brièveté, le propos se révèle partiellement inexact : certes, de nombreux amateurs se souviennent de l’époque bénie où des cartons entiers de photographies se vendaient pour quelques francs ; mais, si les prix ont été révisés à la hausse, celle-ci est loin d’être uniforme et beaucoup de ces images valent encore très peu cher. D’ailleurs, ce ne sont pas là de véritables objets de collection.

Crtères de choix
En réalité, l’intérêt d’une photographie en tant qu’élément d’une collection tient essentiellement à trois critères dont tout amateur doit impérativement tenir compte : la beauté de l’image, le nom et la notoriété du photographe, le fait que le tirage soit original. Le premier de ces critères recèle évidemment une grande part de subjectivité et sera sans doute le plus difficile à respecter pour un amateur encore profane.

Beaucoup plus objectifs en apparence, les deux autres critères apparentent le marché de la photographie à celui des arts graphiques, de l’estampe en particulier. Ils mettent cependant en jeu des éléments complexes, comme le nom et la notoriété du photographe. Il faut se souvenir qu’un photographe (comme d’autres artistes) est toujours plus apprécié dans son pays d’origine. La lecture des index figurant à la fin des catalogues de ventes publique se montre révélatrice à cet égard : entre Paris et New York bien des noms diffèrent.

Et, si dans les deux villes on retrouve celui de Man Ray, c’est que Français et Américains le considèrent tous comme un artiste "national". Le nom de Man Ray n’apparaît pas ici de façon fortuite ; il est aussi celui de l’un des plus éminents représentants de la seule "école" de photographie à jouir d’une véritable audience internationale, celle des surréalistes.

Il faut aussi noter que le lien auteur/valeur de l’œuvre n’est pas automatique ; s’agissant d’Atget par exemple, l’image d’un autobus sera moins prisée qu’une vue de Notre-Dame et on appréciera moins cette dernière que la représentation d’un "petit métier". De même, on recherchera particulièrement chez Brassai les thèmes des prostituées ou de Paris la nuit.

Tirages originaux et retirages
L’évocation de Brassai conduit presque naturellement à aborder la question des tirages originaux ; ceux de Brassai sont particulièrement rares en vente publique ; il en va de même pour Cartier-Bresson par exemple. Or l’intérêt de posséder ou d’acquérir un tirage original est double. Il s’en dégage un "parfum d’authenticité" auquel tout amateur se montrera sensible, et ce d’autant plus qu’un photographe ne tirera pas ses propres images de façon identique sur le moment et vingt ans plus tard. En outre – et comment négliger cet aspect des choses ? – un tirage n’aura pas du tout la même valeur selon qu’il s’agira d’un original ou pas, les écarts de prix pouvant aller de 1 à 25 pour une image identique. Ce phénomène explique pour une large part le relatif insuccès de la vente des photographies de l’Agence Magnum, chez Christie’s en mars dernier, la salle ayant boudé les très nombreux retirages émaillant le catalogue.

Selon l’alinéa 7 du décret du 23 décembre 1991 (n° 91-1326), sont considérées comme originales les "photographies dont les épreuves sont exécutées soit par l’artiste, soit sous son contrôle ou celui de ses ayants droit, et sont signées par l’artiste ou authentifiées par lui-même ou ses ayants droit, et numérotées dans la limite de trente exemplaires tous formats et supports confondus. Toute épreuve posthume doit être indiquée comme telle au dos de façon lisible". Ce décret ne clarifie la situation qu’à partir de la date de son entrée en vigueur.

Collections "horizontales" et "verticales"
En fait, et malgré l’augmentation des prix, il demeure tout à fait possible de débuter une collection de photographies du XXe siècle. Tout en tenant compte des critères énumérés ci-dessus, plusieurs options s’offrent aux amateurs, lesquels se regroupent en deux grandes catégories. Les "horizontaux" tout d’abord, qui cherchent à regrouper toutes les œuvres d’un artiste, Doisneau par exemple. Les "verticaux" ensuite, qui bâtissent leur collection autour d’un thème ; ils finissent par constituer des ensembles très intéressants avec des œuvres dans une large gamme de prix, l’essentiel étant que celles-ci s’organisent en fonction d’un sujet donné, la variété de ces derniers étant infinie.

Attention, toutefois : réunir des nus s’avère une spécialité bien française, et les photographies de la Libération de Paris s’adressent également à nos compatriotes ; en contrepoint, les portraits de Marilyn Monroe attirent toujours un public parfaitement international et, outre les surréalistes, les Américains se montrent volontiers sensibles à Doisneau ou Cartier-Bresson.

D’aucuns réaliseraient même de très profitables "coups" grâce à des achats (et des reventes) tenant compte de ce genre d’éléments. Un dernier point dans ce sens, la pornographie serait complètement passée de mode, et tout semble porter à croire qu’un photographe tel que Mapplethorpe restera en définitive plus célèbre pour ses portraits de fleurs que pour ses images sulfureuses.

Faut-il enfin voir dans la constitution d’une collection de photographies un investissement financier ? Si là réside la seule motivation du collectionneur, il "part" perdant. En revanche, s’il achète avec passion et s’en tenant à des critères de sélection fermes, il a toutes chances de réaliser de surcroît une opération matériellement satisfaisante. Là encore, on le voit, la photographie ne se différencie pas d’autres secteurs susceptibles de faire l’objet de collections, la règle immuable s’énonçant en peu de mots : il faut acheter ce que l’on aime.

Pour en savoir plus :
La Documentation Française vient de publier un remarquable ouvrage, Le marché des tirages photographiques (240 p., 150 F). Cette étude livre un état des lieux inexistant à ce jour. Elle part d’une réflexion théorique sur la nature de la photographie et propose une lecture économique de l’histoire du marché des tirages dont elle décrit les grandes étapes. En s’appuyant sur de nombreux documents et statistiques, elle conclut à la fragilité du marché et à son éclatement en plusieurs sous-marchés.

Pour voir des photographies :
Musées et collections publiques : Orsay, Centre Pompidou, Carnavalet. Manifestations temporaires : Mois de la photographie à Paris à partir de novembre, les Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles, en juillet-août. Galeries : Agathe Gaillard, Michèle Chomette, Jean-Pierre Lambert, Beaudoin Lebon, Alain Paviot (Galerie Octant). Expert : Gérard Lévy. Les adresses figurent dans le Guide du Marché de l’Art, édité par Le Journal des Arts.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : Photographies du XXe siècle

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