Argent

Peut-on investir dans l’art ?

Le Journal des Arts

Le 5 décembre 2003 - 711 mots

Les récentes crises boursières poussent de plus en plus les spécialistes financiers à proposer des investissements alternatifs. L’art peut-il être utilisé à des fins spéculatives ?

LONDRES - La notion d’investissement en art n’a jamais été aussi à la mode. Les médias s’en font régulièrement l’écho, et récemment à Londres, un salon intitulé « Investissements alternatifs » a accueilli plusieurs galeries. Aujourd’hui, de nombreuses banques privées de premier plan offrent des services de conseil en art – bien que certains préfèrent décrire leur activité comme de la gestion de collection existante (gestion de patrimoine) plutôt que comme du  conseil en acquisition (conseil en investissement). Les taux d’intérêts demeurant très bas et la Bourse étant instable, les investisseurs recherchent d’autres placements pour leur argent. Les derniers succès en vente aux enchères donnent l’impression que de larges profits peuvent être obtenus grâce à l’art, ou, en tout cas, que le marché de l’art est un domaine protégé. Ces dernières années, la cote de nombreux artistes a explosé, à l’exemple de celles de l’Allemand Gerhard Richter, qui a augmenté de 202 % en cinq ans, ou du Russe Ivan Aivazoffski ( 289 %) selon les chiffres de Art Sales Index. Cette base de données montre une hausse de 316 % de l’index Art 100 depuis 1976 et un taux de croissance de 4,4 %, tandis que sur la même période la moyenne du Dow Jones affiche un taux de 9,4 %, ce qui place l’art au même niveau de rendement que les bonds du Trésor américain.
Lorsque le Fine Art Fund a été lancé il y a deux ans, ses fondateurs avaient bien compris cette logique et cherchaient à récolter auprès d’investisseurs privés et institutionnels 350 millions de dollars pour les investir dans l’art. Malgré des débuts difficiles, le fonds bénéficierait aujourd’hui de 70 millions de dollars (59,4 millions d’euros) et se prépare à acquérir des œuvres dès l’année prochaine. Des personnalités réputées siègent à son conseil d’administration, dirigé par Lord Gowrie, et il prévoit – sans le promettre –  un rendement de 12 % sur sa durée de vie de dix ans. L’art peut-il aujourd’hui être considéré comme un investissement de la même manière que les actions ou les obligations ?
Les actions et les obligations sont des liquidités largement échangées dont la valeur est déterminée chaque jour par des milliers de financiers. Ces derniers mesurent cette valeur selon la capacité d’une société à générer des revenus, laquelle capacité dépend du talent de management, des prévisions sur l’avenir de la société et des caprices du marché. L’estimation de ces valeurs s’appuie sur la combinaison des performances passées et des résultats espérés. Ces valeurs sont calculées d’après un modèle économique sophistiqué qui, bien que parfois ostensiblement erroné, fournit un semblant de précision scientifique à l’opération.
L’art est moins susceptible d’être estimé de manière « scientifique », malgré une plus grande transparence du marché rendue possible grâce aux nombreux sites Internet qui fournissent les résultats de ventes aux enchères, comme Artprice.com. L’art est également difficile à convertir en argent liquide. La différence majeure dans la manière dont les prix des œuvres d’art et des actions évoluent vient de ce que l’art est acheté par des collectionneurs, des individus, non par des institutions financières. Lorsque le prix d’une action accuse une baisse trop importante, les portefeuilles d’actions et d’obligations des investisseurs institutionnels s’alignent sur le marché : l’action est vendue et la perte consentie. Ce procédé est permis par le mécanisme selon lequel ces investisseurs déterminent la valeur financière, et par l’absence d’attachement sentimental à proprement parler vis-à-vis de l’action.
Le contexte est différent pour le collectionneur d’art. D’une manière générale, la qualité et la rareté d’une œuvre ont déjà été établies de façon raisonnablement objective, bien que les réputations des artistes soient susceptibles de varier. Les prix de l’art dépendent d’un large éventail de facteurs économiques ; ces derniers n’affectent en rien la valeur d’une pièce en particulier, mais ils influent sur la volonté des clients à dépenser sur la recommandation des experts. Il est ainsi plus avantageux pour un propriétaire d’œuvres d’art de surmonter la crise économique que de vendre. Mais au moment où la plupart des investisseurs auront besoin de liquidités, les œuvres seront également plus difficiles à bien négocier sur le marché.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°182 du 5 décembre 2003, avec le titre suivant : Peut-on investir dans l’art ?

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