Christie’s

Passions viscérales

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 24 juin 2005 - 787 mots

Patrice Trigano livre ses collections personnelles et sa maison aux enchères.

 PARIS/LOUVECIENNES - Après avoir créé la galerie Beaubourg en 1973, en association avec les Nahon, Patrice Trigano dirige depuis 1980 la galerie qui porte son nom rue des Beaux-Arts. Sa passion pour l’art, ce galeriste réputé de 57 ans, spécialiste en art du XXe siècle, l’a également toujours vécue intensément en collectionnant tous azimuts. La peinture moderne (« la plus grande histoire de ma vie ») a été une constante, surtout le surréalisme. Mais il a par ailleurs réuni un
ensemble de tableaux anciens représentants des Vanités, sa grande préoccupation philosophique. Il s’est tourné vers l’art du XIXe dans ses tendances oniriques, notamment le symbolisme, et a développé un goût inattendu pour les Barbotines, pour lesquelles les spécialistes reconnaîtront qu’elles sont toutes signées de noms connus. Il a aussi amassé par vagues successives, et de façon quasi monomaniaque, des objets préhistoriques, africains et océaniens renvoyant aux formes originelles de l’art, tout en entretenant des rapports intimes avec les écrivains subversifs dont il a rassemblé des écrits. Il se dit épris d’un « besoin viscéral de collectionner », et en parle comme d’une « nécessité vitale, un moyen de se projeter et de régler un certain nombre de problèmes ». Mentionnant un épisode de sa vie qui l’a beaucoup éprouvé, à l’âge de 20 ans – une longue maladie qui le cloue au lit pendant presque un an –, il déclare avoir été « sauvé par l’art ». Aujourd’hui, Patrice Trigano tourne une page en mettant en vente publique près de quarante ans de collections privées, et cède également son incroyable propriété (proposée à 5 millions d’euros), écrin fait sur mesure pour ses trésors.
Cette idée d’un lieu spécial a pour origine la découverte d’une commande passée au sculpteur Carriès. À la fin du XIXe siècle, ce dernier avait été chargé par la princesse de Scey-Monbéliard de la construction d’un tabernacle baptisé « porte de Parsifal » pour abriter les partitions de Wagner dont elle faisait collection. De la même manière, Patrice Trigano sollicite, en 1986, Jacques Couëlle, architecte aux constructions utopistes et intemporelles, pour la réalisation d’une maison-sculpture, sorte d’habitation troglodytique renvoyant à de multiples références organiques, imaginaires et littéraires, à l’exemple du salon « Némo » aux hublots avec vue dans la piscine.
Dix spécialistes de Christie’s ont travaillé sur le contenu de la vente, divisée en 300 lots. Un caprice de Venus, importante peinture de Max Ernst de 1960 de l’ancienne collection Jimmy Ernst, estimée 120 000-180 000 euros, est l’un des points forts de la vente avec de rares dessins signés André Masson, telle une gouache sur carton de 1938 représentant Orphée, estimée 35 000 euros. Plusieurs œuvres de Brauner sont également à l’honneur, dont deux chimères estimées 100 000 et 120 000 euros, ainsi que Femme surréaliste, une rare huile sur toile de Molinier de 1950, estimée 12 000 euros, « qui me touche beaucoup dans son rapport au corps », commente Patrice Trigano. Un lien « viscéral » (pour reprendre son leitmotiv) semble s’être instauré entre le collectionneur et ses objets. Leur inventaire comprend notamment : un os gravé de têtes de chevaux, remontant à plus de 50 000 ans avant J.-C. (est. 300 euros) ; une statuette bambara du Mali provenant de la collection René Rasmussen (est. 10 000 euros) ; deux poupées kachina d’Arizona provenant de l’ancienne collection Hubert Goldet et ayant appartenu à André Breton (est. 10 000 et 15 000 euros) ; une facture de Sigmund Freud adressée à Gustave Mahler pour une séance de psychanalyse (est. 4 000 euros) ; du mobilier et des sculptures signés Philippe Hiquily ; un portrait de Beethoven par Franz von Stuck  (est. 15 000 euros) ; une Composition abstraite de 1947 de Nicolas de Staël (est. 150 000 euros) ; et un ensemble exceptionnel de sculptures en bronze, dont une Vénus Girafe de Salvador Dalí (est. 40 000 euros).
« Il n’y avait que Christie’s ou Sotheby’s capable d’apporter une prestation globale avec la vente de ma maison », confie l’intéressé. La balance a penché en faveur de Christie’s, en mémoire d’une transaction conclue avec succès. Pour les estimations, le vendeur a choisi de laisser faire Christie’s et de jouer le jeu du « sans prix de réserve ». « À chaque pièce s’attache un souvenir », raconte-t-il avec une émotion retenue. Une séparation vécue avec un sentiment ambigu,  à la fois de délivrance et de regret.

COLLECTION PATRICE TRIGANO, ITINERAIRE D’UNE PASSION

Vente le 5 juillet, Christie’s, 9, avenue Matignon, 75008 Paris, tél. 01 40 76 85 85, exposition in situ (Les Pierres Levées, chemin du Cœur-Volant, 78430 Louveciennes) les 1er juillet, 11h-20h, 2 juillet, 10h-18h, et 3 juillet, 14h-18h, www.christies.com

COLLECTION PATRICE TRIGANO

- Expert : Florence de Botton - Nombre de lots : 308 - Estimation totale : 3 à 5 millions d’euros

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°218 du 24 juin 2005, avec le titre suivant : Passions viscérales

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