La France a encore perdu des parts de marché en « Fine Art » face à Londres et New York. Les maisons de ventes parisiennes affichent néanmoins une progression par rapport à 2004.
PARIS - Après les gifles successives assénées par le retrait de François Pinault de l’île Seguin, le non au référendum sur le projet de constitution européenne, le loupé des Jeux olympiques à Paris en 2012 et une prévision de croissance économique d’à peine 1,5 % sur l’année, la France semble souffrir d’un mauvais karma. Pour enfoncer le clou, d’après Artprice les parts hexagonales sur le marché mondial de l’art dans le segment Fine Art sont passées de 7,4 % au premier semestre 2004 à 5,9 % sur la même période en 2005. En dépit de ce malaise, le peloton de tête des salles de ventes parisiennes affiche une progression sensible de 7 à 20 %. Drouot annonce, lui, une avancée de 15 %, un chiffre dépassant le bilan 2003 pourtant dopé par la vente André Breton. Signe que, faute de concurrencer Londres ou New York pour les fleurons des beaux-arts, la France aiguise ses armes dans d’autres disciplines.
Malgré l’absence d’une masse régulière d’affaires, quelques collections, comme celle du baron de Redé (7,1 millions d’euros) chez Sotheby’s ou de Gérard Geiger (6,2 millions d’euros) chez Binoche, ont fait le printemps (lire le JdA no 212, 1er avril 2005). Les résultats restent toutefois principalement concentrés en juin (1). La moitié du produit semestriel de Beaussant-Lefèvre résulte de ses vacations classiques des 8 et 17 juin. Les 14,5 millions d’euros engrangés par Camard & associés sont redevables aux 13,5 millions d’euros de sa vente Art déco du 1er juin, la plus lucrative jamais organisée en France. « Normalement, en mars et octobre, nous avions de vraies saisons. C’est de plus en plus ramassé sur le temps, convient le commissaire-priseur Alexis Velliet. C’est lié à des questions de générations qui s’intéressent tardivement à leurs affaires, mais lorsqu’ils s’y mettent, ils veulent que les choses se fassent tout de suite. Dans les dix derniers jours de bouclage d’un catalogue, on ajoute beaucoup de pièces. » Les ventes se caractérisent d’ailleurs par un faible volume d’objets mais de plus gros produits, grâce à deux ou trois pièces qui font monter la mayonnaise.
Si les tableaux anciens et l’art du XXe siècle avaient fait les beaux jours du premier semestre 2004, le cocktail est cette fois plus composite. La pioche en maîtres anciens a été tellement maigre que, faute de glaner suffisamment de pièces, Sotheby’s a préféré reporter sa vacation de tableaux anciens du mois de juin au 20 octobre. L’art primitif s’est en revanche imposé en ticket gagnant. Chez Sotheby’s, 40 % des lots entre 100 000 euros et un million d’euros relèvent ainsi de cette spécialité. Le gâteau du XXe siècle reste aussi fortement disputé. Le produit Art contemporain de Tajan a ainsi triplé par rapport au premier semestre 2004, tandis qu’il affiche une progression de 20,5 % chez Artcurial. De son côté, Christie’s a créé la surprise le 24 mai avec les 4,3 millions d’une vente impressionniste et moderne pourtant peu affriolante.
Cette dernière maintient imperturbablement son leadership sur le marché parisien. D’année en année, elle gratte sur les parts des principaux acteurs parisiens. Si l’autruche de Maurizio Cattelan lui est restée sur les bras en mai à New York, d’autres volatiles, cette fois une paire de hérons de Meissen, ont décroché la palme à Paris. Adjugée pour 5,6 millions d’euros, la paire devient l’objet d’art le plus cher jamais vendu en France (lire l’encadré). Sotheby’s se stabilise dans les mêmes eaux que l’an dernier, d’autant plus qu’elle avait alors intégré la vente Nahon de juillet dans ses chiffres.
Sous la houlette de sa propriétaire, Rodica Seward, Tajan conserve son statut de Poulidor sur le podium. Le duel risque pourtant de s’aiguiser avec Artcurial, laquelle reprend du poil de la bête après avoir chuté de 35,5 % au premier semestre 2004. L’arrivée en mai de François Tajan dans l’écurie des Dassault a d’ailleurs signé le début d’une valse-hésitation des spécialistes entre les deux maisons. Piasa est la seule enseigne du palmarès à accuser un léger recul. Outre la concurrence incestueuse de sa cousine Christie’s, les retraits discrets mais progressifs de Lucien Solanet et Jean-Louis Picard ont sans doute pesé dans la balance. Malgré le succès médiatique de la vente Poiret (lire le JdA no 216, 27 mai 2005), certaines pièces qui auraient dû raffermir son bilan, comme la paire d’encoignures attribuée à BVRB, surestimée entre 800 000 et 1,2 million d’euros, lui sont restées sur les bras.
Les acteurs parisiens misent désormais sur une vitesse de croisière, « une progression annuelle de 5 à 7 % » pour Christie’s et une « avancée de 20 % sur toute l’année 2005 » chez Artcurial. Chacun fourbit ses armes pour la rentrée et dévoile ses trophées. La vente de luminaires, que Christie’s avait annulée en décembre, figure au programme d’Artcurial avec « Light is more, 1905-2005, un siècle de luminaires » le 23 novembre. François Tajan a décroché pour les Dassault la collection d’art moderne et contemporain de Guy et Chantal Heytens. L’écurie de François Pinault avance comme jokers le second opus Filipacchi et la collection de photos du réalisateur et producteur Claude Berri (3 millions d’euros), que le marchand David Fleiss avait expertisée voilà six mois pour Phillips. Elle s’engage enfin sur le terrain encombré du design avec une première vente en novembre. Outre les collections Braquenié et Durand-Dessert (3 à 4 millions d’euros), Sotheby’s prévoit en décembre un ensemble de céramiques et verreries du XXe siècle provenant de la résidence de Clara Schumann (1 à 1,6 million d’euros). « Notre plan est de vendre environ pour 40 millions d’euros en 2005 », indique Philipp de Württemberg, président-directeur général de Sotheby’s France. Soit 12 millions de moins qu’en 2004 !
Sotheby’s confirme sa politique d’exportation intensive (2), à l’image du Canaletto, issu de France et adjugé au prix record de 18,6 millions de livres sterling en juillet à Londres. À l’inverse, Christie’s poursuit son large ratissage du marché. Elle mord de plus en plus dans le fourrage des maisons françaises en multipliant ses ventes « Intérieurs », qui, dès 2006, passeront à la vitesse supérieure avec 8 rendez-vous contre 5 cette année. Pour en accroître la visibilité, elle importe pour ses vacations des 14 et 15 septembre la formule déjà éprouvée à New York du « magalogue », compromis entre le magazine et le catalogue présentant les objets suivant des critères typologiques. Pratiquée pour la collection d’un amateur européen le 22 juin (lire le JdA no 217, 10 juin 2005) et pour celle de Patrice Trigano le 5 juillet (lire le JdA no 218, 24 juin 2005), l’absence de prix de réserve participe aussi de cet esprit « à la criée » cher à Drouot. « Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais qui se développe gentiment et que les vendeurs eux-mêmes nous demandent souvent », insiste François Curiel, président du directoire de Christie’s France. Cette politique génère parfois des coups d’éclat surprenants, comme les 247 200 euros pour le portrait de Picasso par Dora Maar dans la vente Trigano. Pour la petite histoire, le marchand Marcel Fleiss avait vendu les deux autres pendants pour 60 000 francs pièce ! L’initiative fait grincer les dents des antiquaires, lesquels doivent réviser à la baisse leurs tarifs… La fibre déco se décline aussi chez Tajan avec des ventes généralistes prévues plusieurs dimanches dans l’année. Bien que la stratégie de Rodica Seward semble fluctuer au gré de ses alliés du moment, elle n’en persévère pas moins dans les dispersions thématiques. Mais si « L’abstraction autour du monde » ou « Les arts de la table » affichent un parfum générique attractif, l’accroche « Laque, parchemin et bois précieux » laisse perplexe. Quel qu’en soit l’impact médiatique, il faut toujours plus qu’un titre pour remplir une vente.
(1) D’après Artprice, 49 % du produit Fine Art de la France au premier semestre a été engrangé entre le 1er juin et le 15 juillet.
(2) Le volume des exportations au premier semestre correspondait à cinq fois son produit parisien.
1/ 5 612 000 euros : paire de hérons en porcelaine blanche de Meissen, vers 1732 (Christie’s, 22 juin). Il s’agit de l’objet d’art le plus cher jamais vendu en France. 2/ 2 400 000 euros : masque de grand initié lukungu en ivoire, ancienne collection Bela Hein (Fraysse & associés, 6 juin à Drouot). Record mondial pour un masque lega. 3/ 1 744 700 euros : fauteuil à la sirène d’Eileen Gray (Camard & associés, 1er juin à Drouot). Record mondial pour un fauteuil toutes époques confondues. 4/ 1 607 480 euros : Jeune Fille, 1927, bronze de Gustave Miklos (Camard & associés, 1er juin à Drouot). Record mondial pour une œuvre de l’artiste. 5/ 1 518 200 euros : La Danse des noces, huile sur panneau de Pieter Bruegel le Jeune, dit d’Enfer (Tajan, 21 juin à l’Espace Tajan).
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Paris sauvé par les ventes de juin
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°220 du 9 septembre 2005, avec le titre suivant : Paris sauvé par les ventes de juin